Dernière mise à jour à 10h36 le 22/10
Qu'impliquait le défilé militaire qui a eu lieu le 3 septembre à Beijing et quelles sont les observations que l'on peut en tirer sur le plan géopolitique ? Analyse.
ZHENG RUOLIN*
La Chine est un pays particulièrement attaché à ses coutumes. Par tradition, elle organise, tous les cinq ou dix ans, une parade militaire en célébration de la Fête nationale le 1er octobre. Mais cette année, c'est le 70e anniversaire de la victoire de la Guerre de résistance contre l'agression japonaise que le gouvernement chinois a décidé de célébrer solennellement, en tenant un grand défilé militaire auquel furent invités des dirigeants et troupes étrangers. C'est là un événement rompant avec l'ordinaire, qui reflète amplement les préoccupations et les inquiétudes de la Chine vis-à-vis du devenir de la situation internationale ainsi que de l'évolution de ses relations avec le Japon et les États-Unis. Il montre aussi que l'ordre mondial d'aujourd'hui semble s'orienter vers une nouvelle bipolarité. Durant les deux décennies qui ont suivi la guerre froide, ni le « monde unipolaire » dominé par les États-Unis, redouté par le plus grand nombre, ni le « monde multipolaire », prédit et espéré par les stratèges de diverses nationalités, n'ont émergé. En revanche, une tendance à la « quasi-guerre froide » se fait de plus en plus sentir, la planète se divisant cette fois-ci sur le plan financier.
Aujourd'hui, une fois de plus, l'histoire est à la croisée des chemins. Quelle route empruntera notre monde ? C'est un problème qui affectera notre sort à tous comme celui des générations futures. Par conséquent, il nous faut considérer avec attention ce moment historique.
Pourquoi le défilé militaire ?
Les raisons qui ont poussé la Chine à prendre cette décision sont très claires. Le gouvernement de Shinzo Abe suit manifestement la tendance du révisionnisme et du négationnisme, c'est-à-dire qu'il nie ou passe sous silence les atrocités de la guerre déclenchée par le Japon et les crimes commis par les militaires japonais à cette époque. La politicienne japonaise Junko Mihara est allée jusqu'à prôner ouvertement, le 16 mars dernier, le concept Hakkō ichiu (« tout le monde sous un même toit »), slogan utilisé par l'Empire du Japon sous la Seconde Guerre mondiale pour glorifier la « guerre de la Grande Asie orientale ». Ces termes connotent encore la guerre d'agression que le Japon a menée et son ambition passée de dominer le monde. Ils sont d'ailleurs interdits dans les documents officiels. Difficile de nos jours d'imaginer un parlementaire allemand osant prétendre que les peuples germaniques forment effectivement la « meilleure nation du monde ». Pourtant, c'est ce genre de phénomène qui a lieu au Japon. Le premier ministre japonais Abe a reconnu publiquement qu'il n'avait pas lu la Déclaration de Potsdam, le document qui précise que le Japon est à l'origine de la guerre et qui exhorte ce dernier à se rendre officiellement. Shinzo Abe a déclaré le 14 août dernier, veille de la date anniversaire de la reddition du Japon : « Nous ne devons pas laisser nos enfants, petits-enfants et les générations suivantes, qui n'ont rien à voir avec la guerre, être prédestinés à s'excuser. » Ses propos, qui visent à rejeter la responsabilité du Japon face à la guerre, sont révélateurs des vraies intentions du gouvernement japonais. Aussi, en dépit de l'opposition publique, le gouvernement d'Abe a fait adopter un projet de loi sur la sécurité qui octroie au pays le droit d'envoyer des troupes à l'étranger. Contraire aux dispositions de la Constitution pacifiste du Japon, l'entrée en vigueur de ce texte constitue un premier pas sur la voie du militarisme. Cela prouve que le spectre du Hakkō ichiu ne hante plus seulement le milieu idéologique, mais guide également l'exercice du pouvoir. Victime dans le passé de la barbarie des militaristes japonais, naturellement, la Chine se tient aujourd'hui sur ses gardes.
Alors que le militarisme fait son grand retour au Japon, les États-Unis, le pays hégémonique par excellence, s'inquiètent de la montée historique de la Chine. D'où la collaboration nippo-américaine qui naît pour contenir les actions de la Chine. Dans ce contexte, la Chine doit faire très attention aux messages qu'elle délivre, pour éviter tout malentendu avec l'étranger. On peut donc dire, en quelque sorte, que la tenue de ce grand défilé militaire était la seule option possible pour avertir toute nation belliqueuse potentielle qu'elle perdrait face à la Chine.
Il faut souligner que la Guerre de résistance contre l'agression japonaise fut le premier conflit remporté par le peuple chinois face à des forces étrangères depuis la Guerre de l'Opium de 1840. Par conséquent, cette parade militaire, organisée à ce moment historique, revêtait deux fonctions : unir plus étroitement le peuple et rehausser son moral ; rappeler à la communauté internationale le rôle considérable qu'a joué le théâtre de batailles d'Extrême-Orient dans l'issue victorieuse de la Seconde Guerre mondiale. Dans ces conditions, dire que ce défilé prenait pour cible un pays en particulier serait tout bonnement mesquin. Au contraire, l'objectif était de prévenir tout agresseur potentiel que le peuple chinois se tient prêt, si nécessaire, à défendre résolument son pays.