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Observations sur le défilé militaire chinois (6)

La Chine au présent | 22.10.2015 10h27

L'importance croissante de la souveraineté financière

Dans le monde d'aujourd'hui, pour pouvoir proclamer sa souveraineté financière, un État doit être totalement indépendant vis-à-vis des États-Unis. Selon cette définition, les pays membres de l'Organisation de coopération de Shang-hai, et en particulier la Chine et la Russie qui en forment le noyau, sont les rares à disposer de cette souveraineté financière. L'Europe, notamment les pays de la zone euro, malgré leur monnaie propre, sont tout au plus semi-indépendants.

Aux XVIIIe et XIXe siècles, à l'époque coloniale, en vue d'étendre son territoire, un empire envahissait, dominait et pillait les ressources d'autres terres. Après la Seconde Guerre mondiale, les colonies ont successivement acquis leur indépendance, de sorte que le colonialisme a été banni. Les grandes puissances ne se disputaient plus que les ressources et les marchés. Mais bientôt, guerre et instabilité sont venues déchirer les pays et régions riches en ressources, et notamment en gisements pétroliers, comme l'Irak, la Libye, le Soudan, l'Égypte et la Syrie.

De nos jours, la finance constitue un puissant levier stratégique pour les grands pays du globe. Si l'on dit qu'un pays organise un défilé militaire à dessein de démontrer à tous sa détermination à sauvegarder sa sécurité nationale, l'importance accordée à la sécurité financière est devenue un « rideau de fer invisible » vital pour tous les pays. Le monde actuel est ainsi divisé en deux systèmes diamétralement opposés : d'un côté, les États dominés par les États-Unis et les conglomérats financiers internationaux ; de l'autre, les pays conservant leur indépendance financière.

Il y a un point que beaucoup de chercheurs chinois n'ont pas saisi : les États-Unis ne recourent plus à la guerre pour régner sur un État, mais pour avoir la mainmise sur le système financier de ce dernier. Aux XVIIIe et XIXe siècles, on contrôlait un pays en le colonisant ; au XXe siècle, en s'impliquant dans ses sources d'énergie, ses marchés et ses investissements ; au XXIe siècle, c'est à travers la finance, principalement. Si un pays s'aligne sur le reste du monde et ouvre son mécanisme financier aux autres pays, dès lors, les États-Unis peuvent facilement dompter ce pays. Preuves en sont la crise de la livre sterling et la crise financière asiatique qui avaient éclaté à la fin du siècle dernier. Et si les problèmes se multiplient ces derniers temps entre la Chine et les États-Unis, c'est probablement parce que la Chine maintient sans cesse sa souveraineté financière.

Nous nous sommes longtemps demandé pourquoi les États-Unis voulaient déclencher une « révolution de couleur » chez leur allié l'Égypte, ainsi qu'en Libye pour y renverser le dictateur qu'ils avaient auparavant toujours soutenu. Les raisons sont assez simples. Dirigée par le dictateur Mouammar Kadhafi, la Libye a toujours administré elle-même ses finances et ses ressources pétrolières. Sur le plan politique, Kadhafi ne représentait pas une menace pour le monde occidental mené par les États-Unis. Au contraire, en tous points, il défendait les intérêts de l'Occident et n'avait que peu d'égard envers la Chine. (Par exemple, sous les années Kadhafi, la Libye est l'unique pays africain à n'avoir envoyé qu'un vice-ministre des Affaires étrangères participer au Sommet de Beijing du Forum sur la coopération sino-africaine. Kadhafi est aussi l'unique dirigeant d'un pays ayant noué des relations diplomatiques officielles avec la Chine à avoir reçu ouvertement Chen Shui-bian, partisan de l'indépendance de Taiwan.) Mais les États-Unis ne tolèrent pas que quelqu'un gère une partie du secteur financier et énergétique à leur place. Idem en Égypte. À partir du moment où un dictateur contrôle à lui seul les finances et les ressources, il est impitoyablement renversé, soi-disant au nom de la démocratie. Pour ne pas avoir d'ennui avec les États-Unis, il suffit de renoncer à sa souveraineté financière. Alors, même un dictateur pire que le précédent peut bénéficier de la protection américaine.

Un pays engagé dans une guerre ne peut vaincre l'ennemi que si sa force militaire concorde avec sa force financière. Avant la première guerre sino-japonaise (1894-1895), l'opinion publique mondiale (dictée par les puissances occidentales, bien entendu) était d'avis que la Chine l'emporterait, car son potentiel économique ainsi que la capacité de ses flottes de combat étaient supérieurs à ceux du Japon. Toutefois, l'empire des Qing a perdu la guerre, précisément parce qu'il manquait de financements. L'impératrice douairière Cixi avait refusé catégoriquement de remettre à la marine chinoise la part du budget militaire qu'elle avait détournée pour bâtir le Palais d'été. Résultat : les armes et autres équipements manquaient pour remporter le duel. L'argent joue donc un rôle essentiel dans la guerre, ce qu'avait très bien compris le Japon. Durant la guerre russo-japonaise, le Japon a obtenu 200 millions de dollars de la part de Jacob Schiff, un banquier américain issu d'une famille juive qui haïssait le tsar antisémite Nicolas II. La Russie, de son côté, n'a pas eu cette chance de bénéficier d'une aide monétaire.

Par conséquent, en analysant en parallèle l'AIIB et le défilé militaire, deux épisodes qui ne semblent en rien reliés, l'on discerne la véritable tendance que suit le monde actuel, à savoir une scission suivant le principe de la souveraineté financière. La Chine a peut-être perdu les alliances militaires qu'elle avait hier, mais elle a marqué un point important dans la construction d'un front uni financier.

Seulement, à ce jour, les pays indépendants sur le plan financier se comptent sur les doigts d'une main. L'Europe est à demi indépendante, tandis que le Japon et les nombreux pays totalement absents au défilé militaire de Beijing sont généralement sous l'emprise des États-Unis. À partir de là, ce défilé militaire peut être considéré comme une pierre de touche : il permet à la Chine de distinguer les pays qui seront ses amis et ceux qui risquent d'être, potentiellement, ses adversaires, voire ses ennemis…

 

*ZHENG RUOLIN est correspondant à Paris pour le quotidien Wen Hui Bao.


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(Rédacteurs :Yin GAO, Wei SHAN)
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