Depuis que Xi Jinping a effectué, en tant que dirigeant de la Chine, son premier voyage à Shenzhen, lieu symbolique des réformes de Deng Xiaoping, de plus en plus de similitudes entre les deux hommes d'Etat sont percevables malgré les années qui les séparent.
A l'approche du 110e anniversaire de M. Deng qui sera célébré vendredi, la Chine a organisé une série d'activités pour commémorer la vie du défunt dirigeant, et réfléchir au moyen de faire progresser les réformes dans une société où les intérêts sont bien plus diversifiés et conflictuels qu'il y a trente ans.
LE FUTUR C'EST MAINTENANT
Lundi, Xi Jinping s'est engagé à promouvoir la réforme avec "de vrais couteaux et de vrais pistolets", une expression qui souligne l'intention résolue et concrète d'atteindre un certain objectif.
L'année 2014, première année des grandes réformes en Chine, devrait être un bon début pour les réformes des années suivantes, a indiqué M. Xi lors d'une réunion du groupe de direction centrale pour l'approfondissement global des réformes qu'il a présidée.
L'opportunité de rendre hommage à Deng Xiaoping est une chance de montrer publiquement notre confiance dans de nouvelles percées, a noté le professeur Xie Chuntao de l'Ecole du Parti du Comité central du Parti communiste chinois (PCC).
Mao Zedong a libéré la Chine en 1949. Deng Xiaoping, qui a dirigé le pays de 1978 à 1992, a orchestré son expansion économique. Jiang Zemin a fixé l'objectif d'une économie de marché socialiste et Hu Jintao a avancé le concept du développement scientifique qui s'appuie sur le lien inextricable entre la croissance durable et le bien-être social.
Pour rejoindre leurs rangs, Xi Jinping et son équipe doivent maintenant construire une société moderne, régie par la loi. Les défis d'aujourd'hui ne sont pas mois pressants que ceux des époques précédentes.
Malgré le rayonnement de l'économie chinoise, le pays est confronté à un clivage entre les zones urbaines et rurales et à une importante disparité des revenus. Les problèmes concernant les soins médicaux, l'éducation, le logement et l'environnement ne vont pas se résoudre par eux-mêmes.
C'est de Deng Xiaoping que Xi Jinping a directement hérité de son "outil magique", la réforme et l'ouverture, qu'il décrit comme "la seule voie qui peut permettre d'adhérer et de développer le socialisme à la chinoise".
Lorsque M. Deng a lancé la modernisation de l'économie chinoise il y a trois décennies, la nation avait perdu sa direction après le cataclysme social et institutionnel de la Révolution culturelle. Le premier voyage officiel de M. Xi après sa prise de fonctions a été d'aller déposer des fleurs aux pieds de la statue de Deng Xiaoping à Shenzhen.
A ce moment-là, les médias étrangers se demandaient encore si la nouvelle direction était prête à réaliser les percées nécessaires pour résoudre les problèmes de la Chine. Près de deux ans plus tard, la Chine est entièrement immergée dans ce qui pourrait bien être le train de réformes économiques et sociales le plus audacieux de l'histoire du pays.
Un rôle "décisif" pour le marché, l'égalité entre les habitants ruraux et urbains, l'assouplissement de la politique de l'enfant unique, l'indépendance judiciaire et la fermeture des camps de travail forcé constituent juste quelques-unes des mesures qui ont déjà été adoptées. Toutes ces mesures étaient considérées comme des mers déchaînées qu'il était nécessaire de traverser avant que les nouveaux moteurs puissent propulser le colossal navire vers l'avant.
La bataille lancée par le PCC contre la corruption et la poursuite en justice d'importantes personnalités qui étaient auparavant considérées intouchables, dont Zhou Yongkang, est un élément essentiel de la perspective générale.
"Bien que nous vivions dans une époque différente et que nous soyons confrontés à des problèmes différents, l'héritage du camarade Deng Xiaoping reste pertinent", a affirmé Wang Zhan, directeur de l'Académie des sciences sociales de Shanghai.
"La clé pour résoudre les problèmes aujourd'hui réside toujours dans la réforme, l'émancipation de l'esprit et la recherche de la vérité par les faits", a-t-il ajouté.
HÉRITAGE
Pour Nian Guangjiu, 77 ans, les politiques de M. Deng ont changé non seulement son destin mais aussi celui de ses enfants et de ses petits-enfants. Né dans une famille rurale dans la province de l'Anhui (est), M. Nian a pu vendre les graines de tournesol grillées avec le savoir-faire qu'il a acquis par lui-même grâce aux politiques de M. Deng. Par rapport aux graines grillées fabriquées par les usines gérées par l'Etat, les produits "Shazi" étaient délicieux et peu chers, et sont très rapidement devenus populaires.
La petite affaire de M. Nian s'est développée jusqu'à employer plus de 100 salariés. Il gagnait un million de yuans dans les années 1980, une importante somme d'argent en Chine à l'époque, et cela n'était possible que grâce à la réforme et l'ouverture. En 2001, son fils Nian Qiang a commencé à promouvoir la marque, ouvrant plus de 2.000 magasins et investissant 170 millions de yuans dans une base de production.
"Pour développer l'entreprise, j'ai dû réformer le style de gestion adopté par mon père il y a deux décennies", a indiqué Nian Qiang. Il compte maintenant acheter une entreprise américaine et croquer une plus grande part du marché des noix.
Dans un discours prononcé en 1992 lors de son "tour dans le Sud", M. Deng a exhorté les cadres à faire preuve d'audace dans la réforme et à oser expérimenter. "Nous ne devons pas agir comme des femmes aux pieds bandés", selon les célèbres paroles de Deng Xiaoping reprises par Xi Jinping lors de la 3e session plénière du 18e Comité central du Parti communiste chinois (PCC), lorsqu'il a appelé le PCC à remporter la dure bataille qu'est l'approfondissement global des réformes. M. Xi adopte fréquemment la même attitude pragmatique que M. Deng dans le traitement des problèmes épineux.
"Les paroles creuses conduiront le pays hors du chemin, et le dur labeur peut raviver la nation", a déclaré M. Xi, citant une autre phrase de M. Deng prononcée lors de sa tournée d'inspection dans le sud de la Chine en 1992.
Nian Zijun, la fille de Nian Qiang, a fait ses études de gestion industrielle et commerciale à Hong Kong, mais a ouvert un centre de formation en anglais après avoir obtenu son diplôme. La famille Nian construit actuellement un musée sur les graines de tournesol pour honorer les contributions de M. Deng à la Chine.
"Le gouvernement fait preuve de détermination dans les réformes. Je suis très confiante dans l'avenir des entreprises privées", a assuré Nian Zijun.
LES TEMPS CHANGENT
A la fin des années 1970, Deng Xiaoping a proposé une stratégie de développement en trois étapes. Après les deux premières étapes, des centaines de milliers de Chinois sont sortis de la pauvreté et le pays est devenu un pilier du commerce international.
Ces dernières années, la Chine a poursuivi une politique de croissance économique sans se soucier de l'environnement ni de l'écart de richesse grandissant. Aujourd'hui cette politique de croissance a été abandonnée et l'attention est désormais portée sur une voie de développement plus rationnel pour traiter ces déséquilibres.
"Le rêve chinois", un concept visant à réaliser "le grand renouveau de la nation chinoise", a été proposé peu après la prise de fonctions de Xi Jinping en novembre 2012, mais les rêves ne se réalisent pas sans dur labeur.
Les dirigeants chinois sont très conscients des enjeux du développement. Ayant été l'"usine du monde", ils veulent éviter le "piège du revenu intermédiaire" qui a tourmenté beaucoup de pays en voie de développement.
Après plus de trois décennies depuis que M. Deng a poussé la Chine pour la première fois vers le monde entier, la zone de libre échange (ZLE) de Shanghai a été ouverte en septembre dernier pour favoriser l'innovation dans un grand nombre de domaines commerciaux : la convertibilité du yuan, l'ouverture de 18 secteurs de services, une liste négative pour les investissements étrangers et de nombreuses autres initiatives devraient porter leurs fruits dans deux ou trois ans. Fin juillet, plus de mille entreprises étrangères s'étaient installées dans la ZLE, créant une ferveur nationale pour l'ouverture et la réforme.
"L'ouverture, déléguer le pouvoir et apporter des bénéfices à la population sont les mots d'ordre avec lesquels Deng Xiaoping a commencé", a noté le magnat de la boisson Zong Qinghou, CEO de Wahaha. "Ils ont libéré la grande vitalité de centaines de millions de Chinois et continueront à le faire sous la nouvelle direction."
Le PCC s'attaque aux obstacles émergeant sur la voie du renouveau en modernisant son système de gouvernement, la cinquième modernisation après l'agriculture, l'industrie, la défense et les recherches scientifiques lancée par M. Deng.
Les efforts vont de la lutte contre la corruption à la sécurité des aliments en passant par la purification de l'air et de l'eau potable pour tous.
En octobre prochain, une importante réunion du PCC se concentrera sur l'Etat de droit, qui assurera l'ordre et l'épanouissement de la société durant cette période de profonds changements.
"Alors que la réforme entre dans une 'zone d'eaux profondes', nous avons besoin de l'esprit audacieux de l'ère de M. Deng", a noté le professeur Xie de l'école du PCC. "Nous voyons en M. Xi et en son équipe le courage et la sagesse politiques dont nous avons aujourd'hui tant besoin".