Dernière mise à jour à 09h29 le 26/02
Ce qui est drôle lorsqu'on vit en Chine, c'est voir à quelles contorsions la presse démocratique est prête à se livrer lorsqu'elle raconte ce pays. Pas de bonnes nouvelles de ce côté du globe, et toute info est systématiquement tordue dans le sens le plus pessimiste possible. Bien sûr, certains thèmes demandent plus d'agilité que d'autres et parfois, des prouesses sémantiques qui vous laissent pantois...
CHRISTOPHE TRONTIN
« Le cancre du climat » titrait Le Figaro à la veille de la COP21. Parmi la myriade d'articles qui ne manquaient jamais de rappeler que la Chine est « le premier pays pollueur » qu'on pouvait lire à l'approche de la COP21, « L'écologie peut-elle compromettre l'avenir de la Chine ? » s'interrogeait Atlantico, dans un article qui concluait évidemment que oui, Le Monde décrivait une « Chine asphyxiée par son industrie textile », tandis que Yahoo ! Actualités titrait « La Chine à l'épreuve de l'écologie ». Une information ressassée en boucle devient-elle pour autant une vérité ? Des recherches ont été nécessaires pour découvrir à la Chine quelques circonstances atténuantes.
Notons d'abord que l'approche « pays par pays » n'a pas beaucoup de sens. Il est assez évident que le pays le plus peuplé du monde se classera toujours parmi les premiers pollueurs. Le classement des pays pour leurs émissions de CO2 par habitant, plus équitable, est rarement publié et pour cause : la Chine n'arrive qu'en 59e position... Loin derrière les super-pollueurs que sont le Qatar, l'Arabie saoudite ou les États-Unis.
D'autre part, si la Chine représente 28 % des émissions mondiales de CO2, cette situation est récente. Sur la période 1850-2000, les émissions cumulées chinoises ne représentent que 11 % des émissions mondiales. D'où son insistance, mais aussi celle de pays comme l'Inde, sur une « responsabilité commune mais différenciée » qui fut finalement reconnue à Paris.
Elle doit être d'autant plus différenciée que ces pays en pleine industrialisation accueillent de nombreuses industries polluantes et fortement émettrices de CO2 délocalisées... par les pays industrialisés. Lesquels, en pleine tertiarisation, voient mécaniquement baisser leurs émissions de CO2 par unité de PIB et se refont à bon compte une virginité environnementale. On entend ainsi des politiciens européens plastronner et s'attribuer le mérite de baisses d'émissions dues en réalité aux délocalisations, qu'ils prétendent par ailleurs combattre !
Enfin on a eu la surprise de lire par-ci par-là des titres tels que « La pollution à Pékin met-elle à mal les engagements chinois ? » (France 24) ou « COP21 : la Chine ne fera pas de nouvelles conces-sions » (BFMTV) ou encore (Sur L'Obs) que c'était l'intransigeance de la Chine qui en 2009 « avait fait capoter les ambitions de Copenhague »... On a vu et entendu François Hollande se gargariser d'avoir obtenu des « engagements » de la part de la Chine, notamment sur RFI. Qu'en est-il en réalité, et quels sont ces engagements ?
• Atteindre un pic d'émissions de CO2 avant 2030, avec de fortes chances d'y parvenir plus tôt,
• Atteindre 20 % d'énergies non fossiles dans son mix en 2030 sans préciser toutefois quelle part sera remplie par les renouvelables (l'autre part étant le nucléaire),
• Réduction de l'intensité carbone du pays d'ici 2030 de 60 à 65 % par rapport à 2005, avec un objectif intermédiaire de -40 à -45 % d'ici à 2020,
Tous ces objectifs étaient déjà ceux de la Chine... lors de la conférence de Copenhague ! Ce qui « faisait capoter » en 2009, serait donc « une avancée » en 2015 ?
La vérité est un peu différente. En appliquant depuis 6 ans ses engagements d'alors, la Chine est devenue, et de très loin, la première puissance mondiale en termes d'énergies renouvelables.
Aujourd'hui, la Chine investit autant dans les énergies renouvelables que l'Europe et les États-Unis réunis. Elle représente 21% des investissements mondiaux (chiffres IRENA, 2015). La demande supplémentaire en énergie de son économie est désormais compensée par l'accroissement de la part des énergies renouvelables, principalement hydro-électriques. 3,4 millions de personnes étaient employées dans le secteur des énergies renouvelables en 2014 (chiffres IRENA) et on s'attend à la création de 500 000 emplois supplémentaires par an ces prochaines années.
Des investissements qui contribuent à l'emploi, mais aussi à la réduction de sa facture pétrolière et gazière du pays, donc à son indépendance énergétique...
Il y a mieux : malgré la poursuite de son industrialisation, la Chine est parvenue, depuis deux années consécutives, à réduire sa consommation d'énergies fossiles. Des chiffres en partie dus, il est vrai, à des hivers exceptionnellement doux. N'importe, on estime à 100 000 le nombre des vies épargnées grâce à la baisse des émissions qui s'en est suivie. Et cela suggère que le pic des émissions devrait être atteint bien plus tôt qu'annoncé. Plus neutres, Les Echos font la liste des initiatives de R&D et de réforme de la législation sous le titre « Comment la Chine veut mettre fin au désastre écologique », citant des projets de recherche sur de nouvelles façons de domestiquer l'énergie solaire, les initiatives de reforestation ou les fortes amendes qui sont désormais infligées aux industries les plus polluantes.
Alors, la Chine, dernier de la classe ? Je vous laisse juges.
Mais une chose est sûre : il n'y a pas, pour la presse démocratique, de bonnes nouvelles de ce côté-ci du monde : « Attention, la Chine réglemente ! » réagit L'Usine Nouvelle... et de se lamenter : « La volonté du pays de devenir plus vertueux impose de nouvelles contraintes aux industriels... »