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Révolution du troisième sexe au Pakistan

le Quotidien du Peuple en ligne | 22.02.2017 16h55
Révolution du troisième sexe au Pakistan
Farzana, une Pakistanaise transexuelle, se maquille chez elle à Peshawar, le 10 février 2017. (Photo: AFP/Global Times)

Farzana attire tous les regards lorsqu'elle danse, avec la torsion de ses hanches et de sa chevelure. Mais avant tout, elle représente la voix d'une communauté pakistanaise au statut bien ambigu : les khawajasiras.

Le jeune homme de 30 ans est un gourou, matriarche à la tête d'une «famille» de plusieurs centaines de khawajasiras, un terme générique au Pakistan désignant le troisième sexe qui inclut les transsexuels, les travestis et les eunuques.

Farzana est cofondatrice et présidente de TransAction, une organisation de défense des droits des transgenres créée en 2015 à Peshawar, la capitale de la province de Khyber Pakhtunkhwa (KP), profondément conservatrice.

Vivant au quotidien des violences brutales et humiliations, ce fort pashtoun, dont la voix rauque trahit son sexe de naissance, a déposé une plainte dans presque tous les postes de police du KP, mais en vain.

«Plus de 50 khawajasiras ont été tuées entre 2015 et 2016 dans cette seule province», a-t-elle souligné, racontant d'un calme fatalisme comment elle a été violée à plusieurs reprises et a été l'objet de racket et de chantage par la police.

Le statut des khawajasiras -aussi connu comme les hijras- est dans une totale ambiguïté au Pakistan.

Aujourd'hui dans ce pays, ces personnes prétendent être les héritiers culturels des eunuques ayant prospéré à la cour des empereurs mogols qui ont longtemps régné sur le sous-continent avant d'être bannies par les colons Britanniques au 19ème siècle.

Le Pakistan est par la suite devenu l'un des premiers pays au monde à reconnaître légalement le troisième sexe, représentant au moins un demi-million de personnes dans le pays, selon plusieurs études – et jusqu'à deux millions, d'après TransAction.

Depuis 2009, ces dernières ont pu obtenir une carte d'identité à titre de «khawajasiras», et plusieurs ont pu se présenter à des élections. Un tribunal de Lahore a rendu la décision de les prendre en compte lors du prochain recensement, qui aura lieu cette année.

A l'instar de Farzana, beaucoup gagnent leur vie par différents services et rituels tels que la bénédiction des nouveau-nés ou l'animation lors de mariages et de soirées comme danseurs. Et ce parfois de manière plus clandestine.

Malgré ces signes d'intégration, elles ont plutôt une vie de parias, souvent réduites à la mendicité et à la prostitution, aux prises à l'extorsion et à la discrimination.

Empathie des médias

A Peshawar, le catalyseur qui a mobilisé TransAction a été l'exclusion des personnes transgenres de l'aide aux populations fuyant la talibanisation et combats dans les zones tribales à la frontière avec l'Afghanistan.

Sohana, 24 ans, a fui en 2008 le district tribal de Kurram, où les talibans avaient banni la danse et la musique, et obligé les hommes à se faire pousser la barbe.

«Si j'y étais resté là-bas, c'est certain je serai déjà morte», a-t-elle confié.

L'ONU n'ayant aidé que les familles déplacées.

«Comme nous n'avons reçu aucune aide... Nous avons commencé à protester», a indiqué la jeune femme, dissimulant sous un large foulard ses courbes siliconées.

«Beaucoup de gens se sont exprimés, expliquant que les personnes comme nous avaient aussi besoin de faire respecter ses droits», a déclaré Sohana, qui désespère néanmoins d'être acceptée un jour par sa famille.

TransAction compte actuellement 40 000 abonnés sur sa page Facebook, et les journaux locaux commencent à s'intéresser aux hijras, relançant ainsi le débat sur leur statut au Pakistan.

«De nombreuses ONG ont travaillé avec la communauté des transgenres, mais principalement dans le domaine de la prévention du VIH, alors que la priorité de notre organisme est la protection contre la violence, le harcèlement, les attaques et l'extorsion», a souligné Qamar Naseem, militante de droits des femmes.

Le cas le plus tragique est celui d'Alisha, qui est décédée après avoir été agressée en mai dernier parce que, selon ses partisans, elle n'a pas été bien soignée à l'hôpital de Peshawar en raison de son identité.

Créations d'Allah

Contre toute attente, les législateurs conservateurs et islamistes sont sensibles à leur cause.

«Elles sont les créations de Dieu, d'Allah, et donc devraient avoir les mêmes droits que nous», a déclaré la députée conservatrice Amina Sardar, qui a fait voter une législation pour le de droit de vote des khawajasiras.

«Voilà ce que je prêche, les Hijras sont musulmanes, des êtres humains comme nous, avec les mêmes droits», a fait savoir le mollah Tayyab Qureshi, imam de la mosquée principale de Peshawar.

Plusieurs mesures de soutien ont déjà été votées, et la province du KP travaille sur un programme de protection des transgenres qui, une fois adopté, deviendra la deuxième mesure mise en œuvre par une province en Asie du Sud.

Toutefois, l'accès à l'éducation et à l'emploi reste un défi majeur pour ces femmes.

La plupart des khawajasiras ont dit avoir été abandonnées ou intimidées au point de fuir leurs familles, souvent à l'approche de l'adolescence alors qu'un comportement efféminé devient intolérable dans une société patriarcale où l'homosexualité est illégale.

La communauté est également affaiblie par les pratiques de certains «gourous» qui agissent comme des proxénètes impitoyables, exploitant les jeunes désorientées au lieu de se comporter comme des mères adoptives protectrices qu'ils prétendent être avec fierté.

Paro, qui a quitté ses parents et son école à l'âge de 11 ans, a été prostituée, violée et blessée par balles avant de rejoindre TransAction.

«J'ai une grande passion pour la danse, mais personne ne respecte ça», a-t-elle soupiré.

Elle a réduit ses séances de danse pour lancer une petite entreprise de broderie après le meurtre de son amie Alisha.

Dans sa chambre toute rose, elle crée des vêtements flamboyants pour les autres hijras.

Avec sur le mur deux écrans: l'un diffuse des clips vidéos, et l'autre la vidéosurveillance qu'elle a installée devant sa porte. Six responsables de TransAction ont déjà été agressées en raison de leur activisme. 

(Rédacteurs :Guangqi CUI, Wei SHAN)
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