Dernière mise à jour à 10h33 le 23/07
Les Etats-Unis ont récemment publié leur premier rapport sur les victimes civiles des frappes de drones américains, un document qui a immédiatement été vivement critiqué et remis en cause dans le pays et à l'étranger.
La Maison Blanche a déclaré plus tôt ce mois-ci qu'entre 64 et 116 civils avaient été tués dans 473 frappes américaines entre 2009 et 2015 au Pakistan, en Libye, au Yémen, en Somalie et en Afrique du Nord, des pays et régions où les Etats-Unis ne sont pourtant pas en guerre.
Les victimes civiles en Afghanistan, en Irak et en Syrie ne sont pas incluses dans ce rapport, qui représente la première évaluation publique américaine de la campagne de lutte contre le terrorisme.
DES DONNEES SUSPECTES
Les chiffres publiés dans le rapport ont été qualifiés de bien trop faibles pour être crédibles.
"Un grand nombre de sites sont isolés, il est difficile de compter les victimes, et le gros problème est de savoir qui est compté comme combattant armé ou non. Souvent, ils ont tendance à compter quelqu'un comme étant un combattant alors qui ne l'est pas, et ces chiffres sont très éloignés de ceux estimés par les tierces parties", a expliqué Paul Kawika Martin, directeur de politique et de communication de Peace Action, le plus grand réseau américain de défense de la paix.
Le Bureau du journalisme d'investigation (BJI), une organisation non gouvernementale basée à Londres, qui a fourni des données complètes sur toutes les frappes de drones américains connues au Pakistan, en Somalie et au Yémen, a déclaré que les frappes américaines avaient tué entre 424 et 966 civils, dont environ 200 enfants. Selon ses calculs, les drones américains auraient tué entre 492 et 1.100 civils au Pakistan et dans d'autres pays depuis 2002.
"Mais le problème est que, bien trop souvent, nous ne savons pas qui a été tué par les drones, et nous ne savons donc pas s'il s'agit de civils innocents au mauvais endroit au mauvais moment", a expliqué à Xinhua Jack Serle, journaliste du BJI.
Saeed Chaudhary, directeur du Bureau indépendant pour les affaires humanitaires à Islamabad, a affirmé que le rapport américain était une "pure absurdité", avant d'ajouter que la campagne de drone américaine avait tué plus de 3.000 civils innocents et fait des centaines d'handicapés.
Shahzad Akbar, un avocat pakistanais, mène la bataille juridique pour les civils tués dans les frappes de drones américains dans les régions tribales du Pakistan.
En octobre 2006, de nombreux civils, dont près de 80 enfants, ont été tués dans une frappe de drone américain sur une école religieuse dans la zone tribale de Bajaur, a rappelé M. Akbar, et quelque 60 personnes ont été tuées par des frappes de drones lors d'un enterrement dans le Waziristan du Sud (sud-ouest du Pakistan, frontalière avec l'Afghanistan), en juin 2009.
En outre, 40 personnes ont été tuées en mars 2011 dans le Waziristan du Nord (sud-ouest du Pakistan, également frontalière avec l'Afghanistan), quand des missiles américains ont frappé une "jirga", une assemblée d'aînés tribaux, selon M. Akbar.
"Il y a beaucoup d'incidents similaires", a déploré l'avocat, notant que ceux mentionnés ci-dessus ne sont que trois cas bien documentés parmi de nombreuses tragédies dans lesquelles des civils ont été touchés par des frappes de drones américains au Pakistan.
UN MANQUE DE TRANSPARENCE
Au-delà de ce rapport erroné, les Etats-Unis ont dans la majorité des cas dissimulé leurs campagnes de drone.
"Nous ne savons pas vraiment quelle est la formule exacte quand ils prennent la décision de mener des frappes de drones. Mais ils savent qu'il y a des civils sur place", a indiqué M. Martin.
"En général, il peut y avoir une règle de base selon laquelle il est acceptable de tuer cinq civils si nous accomplissons un objectif important. Donc, parfois, nous savons qu'ils sont là, mais nous les tuons délibérément", a ajouté M. Martin.
Actuellement, l'armée américaine peut lancer des frappes de drones contre des cibles sans preuve claire en cas de danger imminent, selon les instructions sur l'utilisation de drones du gouvernement de Barack Obama citées par la chaîne de télévision américaine ABC. Mais s'il n'y a pas de preuve claire, comment les décideurs américains peuvent-ils déterminer qu'il y a un danger imminent?
Rosa Brooks, ancienne conseillère juridique du Pentagone et actuellement professeur de droit à l'Université de Georgetown, a déclaré lors d'une audition devant le Congrès que les départements exécutifs américains proclament qu'ils ont le droit de mener des frappes de drones contre n'importe qui dans n'importe quel coin du monde juste pour des raisons de confidentialité. En outre, la décision de mener des frappes de drones peut être prise par des responsables qui exigent l'anonymat et à travers des procédures secrètes, ce qu'elle a qualifié de terrifiant.
UNE APPROCHE INJUSTIFIABLE
La guerre des drones, initiée à la suite de l'attentat du 11 septembre 2001 par le président américain d'alors George W. Bush, a souvent été utilisée par le président au pouvoir Barack Obama au cours de ses deux mandats comme l'un des atouts de son gouvernement.
Mais des questions se posent: comment les drones peuvent-t-ils distinguer les civils des terroristes? Les frappes de drones sont-elles justifiables?
Abdul Karim Khan, un Pakistanais originaire de Mirali dans le Waziristan du Nord, a perdu son fils Zahinullah et son frère Asif Iqbal dans une frappe de drone de la CIA en décembre 2009. Les deux hommes avaient été tués alors qu'ils étaient assis chez eux.
"Le dirigeant américain utilise en fait ces drones armés pour commettre des assassinats", a indiqué M. Akbar.
Le 2 juillet, le Pakistan a demandé la cessation immédiate des frappes de drones américains sur son territoire, les qualifiant de violation de "l'intégrité et de la souveraineté territoriales des Etats".
Des citoyens américains ont également été victimes des drones. Anwar al-Awlaki, un dirigeant d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) né aux Etats-Unis, a été tué dans une frappe de drone américain en 2011. Son fils de 16 ans, un citoyen américain qui n'avait pas vu son père depuis des années et n'avait pas de liens avec des groupes terroristes, a été tué deux semaines plus tard dans une autre frappe.
Même ceux qui participent au programme de drone américain ont soulevé des préoccupations au sujet des politiques de frappes de drones.
Ainsi, en novembre dernier, quatre anciens opérateurs de drones américains ont tenu une conférence de presse à New York au cours de laquelle ils ont déclaré que les frappes avaient causé la mort d'un grand nombre de civils et entretenu une culture institutionnelle intraitable envers les victimes, qu'il s'agisse d'enfants ou d'adultes.
L'utilisation de drones pour tuer des civils innocents ne fait que renforcer le terrorisme. "Ils tuent peut-être quatre terroristes, mais ils en créent en même temps dix de plus", a regretté l'un des opérateurs, l'ancien sergent-chef Brandon Bryant.