Dernière mise à jour à 11h33 le 07/06
Le Parlement européen (PE) pressera cette semaine la Commission européenne (CE) de prendre des mesures contre les "pratiques commerciales déloyales" dans le secteur alimentaire.
Lors de la session plénière à Strasbourg, les députés voteront mardi une résolution non-législative appelant la CE à proposer des mesures pour promouvoir des relations équitables et transparentes entre producteurs, fournisseurs et distributeurs.
Les députés se préoccupent également de la surproduction et du gaspillage alimentaire qui résultent des pratiques commerciales déloyales (PCD).
L'objectif est de parvenir à ce que de nombreux députés européens considèrent comme un meilleur équilibre entre les agriculteurs, les entreprises de transformation alimentaires et les grandes chaînes de supermarchés. De nombreux députés estiment que les agriculteurs sont désavantagés lors des négociations avec les transformateurs de produits alimentaires et les détaillants qui ont beaucoup plus de pouvoir de marché.
Les revenus des agriculteurs dans l'Union européenne (UE) ont chuté jusqu'à 13% par rapport à 2013, et la crise actuelle est encore plus répandue dans des secteurs tels que les produits laitiers et l'élevage du porc.
La députée irlandaise Mairead McGuinness, elle-même économiste agricole, a déclaré dimanche que les PCD sont "une réalité importune" dans la chaîne d'approvisionnement alimentaire.
"Ils endommagent les producteurs et, finalement, réduisent le choix des consommateurs. Ils ont également un impact négatif sur la viabilité de notre chaîne d'approvisionnement alimentaire", a-t-elle déclaré lors d'un briefing délivré par le Parti populaire européen (PPE).
Mme McGuinness a rédigé un avis de la Commission d'agriculture du PE sur un rapport de la Commission concernant les PCD dans la chaîne alimentaire. Le rapport identifie un certain nombre de méthodes où les agriculteurs sont désavantagés, y compris par les retards de paiements, la restriction de l'accès au marché, l'application des changements unilatéraux ou rétroactifs aux termes des contrats, l'annulation de manière soudaine ou injustifiée des contrats, le transfert de manière déloyale d'un risque commercial et le transfert des frais de transports ou de stockage aux fournisseurs.
Lors d'une enquête à l'échelle de l'UE auprès des fournisseurs dans la chaîne d'approvisionnement alimentaire, 96% des répondants ont déclaré avoir déjà fait l'objet d'au moins une forme de PCD. 83% des répondants ayant fait l'objet de PCD ont déclaré que celles-ci faisaient augmenter leurs coûts et 77%, qu'elles réduisaient leurs recettes.
Certains Etats membres de l'UE ont introduit des lois nationales pour mettre les agriculteurs dans une position plus équitable, mais il n'y a actuellement aucune législation à l'échelle européenne. Cependant, le commerce transfrontalier entre les pays de l'UE représente aujourd'hui 20% de la production totale des aliments et des boissons, et la Commission de l'agriculture pense que le moment est venu d'agir au niveau de l'UE.
"Déjà, quelque 20 Etats membres ont pris des mesures pour remédier à ces pratiques et les éradiquer, à travers une série de mesures législatives", a poursuivi Mme McGuinness.
"Mais le problème est à l'échelle européenne et exige une réponse de l'UE au-delà des actions volontaires entreprises par certains détaillants dans la chaîne d'approvisionnement. Nous avons besoin d'un signal fort, par le biais de la législation européenne, pour faire face aux PCD et nous en avons besoin de toute urgence. Il faut envoyer un message à ceux qui se livrent à des PCD que leurs actions ne seront pas tolérées", a-t-elle déclaré.
Le PPE a également cité la recherche de l'agriculteur finlandais Matti Turtiainen montrant que les supermarchés vendent souvent du poulet ou du porc sous leurs propres marques dans des emballages anonymes moins chers que ceux d'à côté qui portent les noms des producteurs, même si les deux proviennent de la même ferme.
"Mais les coopératives d'agriculteurs sont contraints de vendre (les produits sans marque) moins chers afin que leurs autres produits soient mis sur les rayons", a dit l'agriculteur finlandais. "Les consommateurs croient qu'ils économisent quelques centimes, mais en fait ils perdent la traçabilité du produit".
En Finlande, le marché de la distribution alimentaire est effectivement divisé entre deux grands acteurs avec une part de marché représentant près de 80%. Dans d'autres Etats de l'UE, la situation est à peine meilleure. Les trois plus grands supermarchés ont au moins les trois quarts du marché alimentaire en Suède, 63% au Royaume-Uni et plus de la moitié en France et en Allemagne.
Au cours des deux dernières années, les producteurs laitiers en particulier ont organisé des manifestations en France, en Allemagne et au Royaume-Uni contre les politiques d'achat des supermarchés et des grands fabricants de produits alimentaires.
"Les grandes entreprises alimentaires sont devenues un Etat dans l'Etat. Elles fonctionnent avec leurs 'conditions de production', imposant des règles aux producteurs laitiers et passant outre la législation", a déclaré l'eurodéputé allemand Albert Dess, qui est aussi un agriculteur. "Ces pratiques, qui sont à la limite de l'extorsion, doivent être supprimées", a-t-il affirmé.
La législation de l'UE combat déjà les pratiques commerciales déloyales entre les entreprises et les consommateurs, mais il n'y a pas de règles européennes qui luttent contre les pratiques déloyales entre les différents opérateurs de la chaîne agroalimentaire. Les PCD sont seulement couvertes en partie par la législation régissant la concurrence.
Par Neil MADDEN