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L'Opéra de Pékin se bat pour préserver la tradition des acteurs masculins jouant des rôles de femmes

le Quotidien du Peuple en ligne | 18.08.2016 15h53
L'Opéra de Pékin se bat pour préserver la tradition des acteurs masculins jouant des rôles de femmes
Hu Wen'ge se prépare pour un spectacle d'opéra de Pékin. Photo : Li Hao / GT

Reconnu comme héritier du nandan (un homme qui joue les rôles féminins) de l'école Mei de l'Opéra de Pékin, Hu Wen'ge est particulièrement demandé depuis que son maître Mei Baojiu, le plus jeune fils de la légende de l'Opéra de Pékin Mei Lanfang, mais aussi maître de l'Opéra de Pékin lui-même, est décédé à l'âge de 82 ans en avril.

Etre connu comme « le seul disciple de l'école Mei ayant directement hérité son art de Mei Baojiu » est déjà impressionnant, mais cet artiste de 49 ans voit sa connexion à Mei davantage comme une responsabilité, celle d'empêcher cette forme d'art de disparaître sans que personne ne le remarque.

Bien que les rôles de nandan connurent autrefois une popularité mondiale après la tournée de Mei Lanfang aux États-Unis en 1930, beaucoup pensent qu'ils ne retrouveront jamais leurs jours de gloire de la fin de la Dynastie Qing (1644-1911).

Selon Hu Weng'e, depuis la Révolution culturelle (1966-1976), quand les spectacles de Nandan furent interdits, cet art a du mal à survivre, principalement en raison de « l'absence de jeunes talents », qui plus est à un moment où l'ancienne génération est devenue trop âgée pour jouer.

« Mon maître me disait de tout faire pour que la lignée continue », a déclaré Hu Weng'e au Global Times, alors qu'il s'accordait une courte pause lors d'une répétition. Les cernes sous ses yeux témoignaient de sa fatigue tandis que son téléphone portable ne cessait de sonner et de clignoter de temps à autre alors qu'il était assis sur un bureau installé à proximité, lors son entretien avec le journaliste.

« C'est vrai, oui, en tant qu'héritier, je reçois beaucoup d'attention des médias et de soutien des organismes gouvernementaux », a-t-il déclaré, ajoutant cependant « Mais les artistes de nandan en tant que groupe ont reçu peu d'attention, à la fois de la part des autorités que de la société ».

Une beauté séculaire consacrée par le temps

Même ceux qui savent peu de choses sur l'opéra chinois traditionnel peuvent facilement voir la beauté de cet art dès que les artistes entrent en scène.

« Son maquillage, la superposition des carmins et des tons plus sombres, est le plus beau que j'ai jamais vu dans un théâtre », avait ainsi écrit le dramaturge américain Stark Young dans The New Republic, après avoir vu la performance de Mei Lanfang au Théâtre National (aujourd'hui le Nederlander Theater) à New York en 1930.

Mais la vraie beauté de cet art n'est pas seulement une affaire d'esthétique visuelle.

« S'agissant des artistes vétérans, même leurs performances sans maquillage peuvent être tout aussi passionnantes que des spectacles intégraux sur scène », a écrit Mei Lanfang dans ses mémoires « Réflexions sur ma vie de scène », publiées en 1958.

Il est vraiment étonnant de voir un spectacle de nandan transmettre des sentiments tacites d'une femme de manière si vive, tout simplement avec leurs yeux et des mouvements de mains élégants. Les choses sont encore plus étonnantes quand on prend aussi en compte la voix de fausset chantée et les acrobaties qui nécessitent des années de formation.

Le cœur de cet art ne concerne pas sur la façon dont un homme peut imiter l'allure d'une femme , que ce soit en portant de faux seins ou par des gestes féminins trop exagérés, comme marcher avec des hanches qui se balancent.

Il s'agit « d'être sain », avait dit M. Hu dans une interview précédente avec la télévision centrale de Chine, ce qui signifie « dépeindre des personnages féminins d'une manière naturelle ».

Cela signifie également « être belle », avait de son côté mentionné à plusieurs reprises Mei Lanfang dans « Réflexions sur ma vie de scène ».

Hu Weng'e estime que cette beauté est universelle.

« Et je peux ressentir leur réponse », a-t-il déclaré, quand on lui a parlé de sa tournée internationale de 2014, qui a célébré le 120e anniversaire de la naissance de Mei Lanfang.

« Quand j'ai joué La Concubine Ivre aux Etats-Unis, j'ai entendu quelqu'un s'exprimer à haute voix alors que je jouais une Dame Yang furieuse après avoir été informée que l'Empereur ne viendrait pas et quand j'ai tourné le dos à la foule dans un mouvement de manches. A ce moment-là et à cet endroit-là, j'ai vu qu'ils avaient compris ce que je voulais faire passer ».

Mei Lanfang pose dans le rôle de Dame Yang de l'opéra « La Concubine Ivre » en 1955. Photo: IC

Patrimoine et innovation

« Contrairement à nous, le Japon a réussi dans sa protection du théâtre Kabuki », a ajouté M. Hu. « Nous aussi, nous avons besoin du soutien du gouvernement pour protéger le théâtre traditionnel, car on voit rarement des nandan sur les scènes nationales ».

Certains font remarquer que le déclin des rôles de nandan n'est pas autre chose que la nature suivant son cours. Contrairement au passé où les femmes étaient strictement confinées à la maison, les femmes sont désormais autorisées, ou même encouragées, à jouer des rôles féminins dans l'Opéra de Pékin.

« Je sais que les temps changent. Tout ce que nous voulons, c'est assumer l'héritage », a déclaré Hu Weng'e.

Une des autres raisons pour lesquelles il est difficile d'attirer des talents est que les interprètes de nandan n'ont pas tous la chance de jouer devant le grand monde ; seuls quelques chanceux peuvent devenir « jue'er », les plus célèbres étoiles du milieu de l'Opéra de Pékin.

Les chances sont, de l'avis même de Hu Weng'e, d'« une sur cent », tandis que seulement un tiers environ des étudiants en opéra des écoles de théâtre finissent par devenir interprètes de l'Opéra de Pékin.

Mais il y a aussi bien d'autres obstacles encore.

« Les jeunes hommes sont soit indifférents à cet art ou ils n'ont pas la voix qu'il faut. Parmi ceux qui choisissent de se lancer dans l'opéra chinois, seuls quelques-uns choisissent le nandan comme carrière », a déclaré M. Hu.

Des hommes lui ont écrit des lettres passionnées, prétendant qu'ils voulaient apprendre cet art, mais, a-t-il souligné, « la formation systématique et la tradition sont plus appréciés dans les milieux de l'Opéra de Pékin que la simple impulsion ».

La troupe de Hu Weng'e a travaillé d'arrache-pied pour susciter l'intérêt du public pour les rôles de Nandan. En 2015, il a rejoint le New Opera Show, une émission de télé réalité de Tianjin TV, lors de laquelle il a séduit le public avec une performance mêlant pop et théâtre en collaboration avec le jeune groupe de pop chinoise M.I.C.

« Les temps changent. Pour éveiller la sensibilisation du public, nous avons également besoin d'utiliser les nouveaux médias, de donner des conférences, d'organiser des ateliers et de collaborer avec des artistes célèbres, comme quand j'ai travaillé avec le célèbre chanteur pop Wakin Chau.

« Mais en fin de compte, tout cela n'est que du marketing », a dit M. Hu lorsqu'on lui a demandé si cela signifiait que l'opéra traditionnel allait changer aussi.

« Lorsque nous donnons un spectacle en salle, nous suivons strictement la tradition ».

(Rédacteurs :Guangqi CUI, Wei SHAN)
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