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Comment Fu Yuanhui est entrée dans une catégorie d'athlètes à part

le Quotidien du Peuple en ligne | 15.08.2016 16h31

Qui aurait pensé que la plus grande star chinoise ayant émergé des Jeux de Rio 2016 n'est pas une des athlètes les plus rapides ou les plus compétitives du monde ? Et pourtant c'est le cas : Fu Yuanhui est dans une catégorie à part, qui n'appartient qu'à elle.

En l'espace d'un instant, la jeune nageuse a renversé du piédestal l'image aussi rigide que sacrée du sportif chinois en tant qu'incarnation solennelle des espoirs d'une nation, et injecté du plaisir dans les sports.

Et elle l'a fait sans savoir ce qui allait se passer ensuite, tout comme elle ne savait pas qu'elle avait remporté la troisième place de la demi-finale du 100 m dos féminin le 8 août quand elle a été interviewée.

C'est le clip vidéo de cette interview qui a donné plein champ au charme unique de Fu Yuanhui, une rareté parmi les athlètes chinois.

Au début de cette interview post-compétition, elle savait qu'elle avait battu son propre record, mais pas qu'elle était à égalité pour la troisième place. Compte tenu de l'accent traditionnel mis par la Chine sur les médailles d'or, une médaille de bronze, partagée qui plus est, ne semblait pas être suffisante pour célébrer quoi que ce soit. Mais la jubilation spontanée de la jeune femme face à son résultat et le dépassement de son propre record a mis un visage humain sur le slogan « soyez le meilleur que vous puissiez être ! ».

De son côté, la journaliste ne semblait la pousser vers une série de clichés-excuses du genre «Je n'avais pas bien dormi la nuit dernière » ou « J'ai souffert d'une douleur mystérieuse toute la semaine », que pour faire allusion à une meilleure performance dans une situation idéale.

Et que croyez-vous qu'il arrivât ? Que Fu Yuanhui allait s'engager sur cette voie ? Eh bien non… sa réaction est devenue quelque chose qui depuis s'est transformé en un mème à l'échelon national, couvert par la presse internationale et même analysé par le monde de la traduction.

Ainsi, CCTV a traduit ses propos en « J'ai utilisé des pouvoirs préhistoriques ». Une traduction retenue par la BBC, tandis que le Guardian préférait « l'énergie mystique ». Comprenez-le comme vous le voudrez, mais en gros, c'était une façon savoureuse de dire « J'ai fait de mon mieux » ou « J'ai pleinement utilisé mon potentiel ».

Mais dire cela aurait enlevé tout l'intérêt du contenu. En règle générale, en traduction, j'édulcore ce genre de prose lyrique pour en arriver droit au but, autant que possible.

Mais pas cette fois, non. L'hyperbole est une partie essentielle de sa personnalité contagieuse pour laquelle, si le mot « honghuang » n'était pas plus ou moins rendu in extenso, son surnom de « fille honghuang » aurait perdu sa raison d'être.

Honghuang, qui signifie littéralement « inondation » et « étendue sauvage », se réfère à des temps immémoriaux. Ce qui fait qu'avec son « préhistorique » CCTV n'a pas vraiment tort. Pourtant, ce mot pourrait également être trompeur, car il pourrait également signifier obsolète. Chacun sait en effet qu'un autre mot qui évoque l'image d'une inondation est antédiluvien, qui porte également une connotation d'ancienneté.

Ce que Fu Yuanhui voulait dire, c'était « Je me suis appuyée sur toute la puissance, la force et l'énergie que j'ai rassemblées depuis les temps anciens ».

Donc, primitif ou primordial semble être un bon compromis entre les images mythologiques de l'inondation et le sens distrayant de l'obsolescence.

Quant au mot « l'énergie mystique », il vise réellement juste, parce que l'utilisation actuelle du terme chinois provient effectivement d'une série télévisée aux accents taoïstes d'un fantastique qui traverse les âges et où les épées volent.

L'envolée verbale pleine de fantaisie de Fu Yuanhui a parfaitement collé avec l'expressivité de son visage. Les captures d'écran de cette interview ont déclenché une explosion d'imitations, que ce soit en emojis qu'en numéros visuels.

Bien que quelques-uns se soient dits mal à l'aise avec ce qu'ils ont considéré comme un acte de bouffonnerie, la plupart l'ont adopté comme un symbole du « Ceci par-dessus tout : sois fidèle à toi-même ».

Ne croyez pas que la native de Hangzhou ait voulu amuser la galerie ; elle a été tout simplement été elle-même, ignorant résolument le diktat implicite du politiquement correct. Par exemple, elle a décrit son entraînement comme « parfois pire que la mort ». La plupart des gens s'en seraient tenus à une tonalité édifiante du genre « C'était difficile mais j'ai persévéré ». Pas elle.

Ces remarques lui auraient valu de gros ennuis si elles étaient apparues il y a deux décennies. Les athlètes olympiques étaient -et sont toujours- censés représenter leur pays à plus d'un titre. Leurs sentiments personnels ne regardaient pas le public. Ils étaient perçus comme des machines à récolter de l'or. S'ils ne réussissaient pas dans cette fonction, alors ils se voyaient aspergés d'une boue de la pire espèce.

Ainsi de Zhu Jianhua, qui quand il a décroché la médaille de bronze aux Jeux Olympiques de 1984 (après avoir battu trois records du monde consécutifs), a vu les fenêtres de sa maison de Shanghai brisées.

Ou encore du gymnaste star Li Ning qui, faute d'avoir réussi à répéter sa brillante performance aux Jeux olympiques de 1988, a été transformé en un paria. Les journaux ont même dit qu'il devait « aller se pendre ».

Lorsque Liu Xiang, la plus grande star chinoise de la piste a dû se retirer à la dernière minute pendant les Jeux olympiques de Beijing 2008, la déception s'est rapidement transformée en opprobre. Certains commentateurs de télévision sont allés jusqu'à laisser entendre qu'il aurait été plus honorable pour lui de tomber et mourir sur la piste.

Ces champions sont quelques-uns des plus grands athlètes que la Chine ait connus et qui ont remporté d'innombrables récompenses à leur pays. Mais peu de gens semblaient avoir compris qu'ils étaient avant tout des êtres humains de chair et de sang avec des faiblesses physiques et émotionnelles. Face à ce genre d'attentes irrationnelles et des schémas d'entrainement exténuants, il n'y a rien d'étonnant que seuls quelques-uns peuvent se permettre de profiter du processus de compétition.

Quand la Chine a récolté le plus grand nombre de médailles d'or lors des Jeux Olympiques de Beijing, une nouvelle mentalité a cependant commencé à gagner du terrain.

Certains ont ainsi valoir que le sport devait s'orienter davantage sur le plaisir de l'esprit sportif que sur les médailles d'or. Maintenant que nous avons vu ce qu'est la gloire de l'approche orientée sur les résultats -même si ce n'est que la pointe de l'iceberg de ce qu'elle coûte- ne pourrions-nous pas nous tourner vers une autre approche, orientée sur les processus ?

De cette subtile phase de transition est sortie Fu Yuanhui, dont la joie de gagner une médaille de bronze était si réconfortante et si hilarante qu'elle a touché un nerf aussi intrinsèquement important que de voir monter le drapeau chinois dans un stade olympique.

Il y a eu des héros sportifs chinois comme Lin Dan et Yao Ming qui ont ajouté le talent à l'art de gagner. Mais l'auto-effacement de Fu Yuanhui est beaucoup plus racontable et sa popularité immédiate reflète la maturité croissante d'un public dont la fixation est passée de la récolte de médailles aux dimensions humaines des athlètes.

La Chine a besoin de davantage de héros sportifs, ou plutôt, de divers types d'athlètes champions. Fu Yuanhui vient de rompre le stéréotype en se montrant réticente ou incapable de s'intégrer dans un moule corseté.

« Si un jour je devenais sage et que j'affichais un sourire timide, je me détesterais », dit-elle.

Gagnante ou perdante, elle a de toute façon laissé exsuder une personnalité qui, elle, sera toujours gagnante.

Les emojis basés sur les expressions faciales de Fu Yuanhui, qui font actuellement fureur. [Photo / CFP]

 

(Rédacteurs :Guangqi CUI, Wei SHAN)
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