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Pour l'Europe, 2017 sera une année de très grands périls

Xinhua | 31.01.2017 10h06

C'est un tableau bien sombre de l'état du Vieux Continent à l'orée d'une année 2017 pleine d'incertitudes que dresse Yves Petit, directeur du Centre européen universitaire de Nancy, dans un entretien à Xinhua.

Dans la foulée du choc provoqué par le Brexit, confrontée à une montée des populismes qui semble irrésistible et une redistribution des cartes à l'échelle planétaire, l'Union européenne, face à des échéances électorales capitales dans plusieurs de ses pays fondateurs, n'a pas pris la mesure des dangers qui la menacent, diagnostique le professeur de droit public à la Faculté de droit de l'Université de Lorraine (est de la France).

Le 25 mars prochain, l'Europe célébrera dans la capitale italienne les 60 ans du traité de Rome instituant la Construction européenne. Un anniversaire qui ne s'annonce pas des plus joyeux tant l'UE apparaît désenchantée, enlisée dans une multi-crise existentielle. Le texte fondateur qui, dans son préambule, aspirait à établir "une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens", promettant une Europe de paix et de prospérité, résonne douloureusement.

En cette année électorale qui débute en France, mais aussi en Allemagne, aux Pays-Bas et probablement aussi en Italie, nombreux sont ceux comme le Pr Petit à redouter le délitement de l'UE.

"Je ne suis pas sûr que les Etats membres de l'UE aient perçu la gravité de la situation. Je crains plutôt qu'ils n'alimentent, consciemment ou non, le climat d'incertitude", confie-t-il, en se défendant de tout "défaitisme" ou "pessimisme".

Auteur d'un article intitulé "Brexit et désintégration de l'UE" à paraître au printemps dans l'Annuaire français des relations internationales, le chercheur, qui enseigne le droit de l'UE dans ses dimensions institutionnelle et matérielle, s'inquiète au premier chef de la montée des populismes.

"Comment combattre les populismes est une des grandes questions concernant l'avenir de l'UE", assène-t-il. "L'UE ne favorise-t-elle pas les nationalismes régionaux? Voilà bien la problématique...", poursuit-il.

Le Brexit "est certainement une catastrophe dont l'UE se serait bien passée. Sans exagération, il représente tout d'abord un coup dur pour le Royaume-Uni, surtout quand on sait que l'Ecosse, désireuse de se maintenir au sein du marché unique, est tentée par un second référendum", estime Yves Petit.

"C'est un coup dur également pour le processus d'intégration européenne, car il est difficile de mesurer à l'heure actuelle l'ensemble de ses répercussions. A ce titre, l'année 2017 devrait être riche en événements et rebondissements", ajoute-t-il.

"C'est d'autant plus vrai que ce phénomène inédit, qui voit un Etat membre quitter l'Union européenne, n'en est qu'à ses débuts. Une sorte de guerre de position précède le vrai départ des négociations entre l'UE et le Royaume-Uni. En effet, Londres n'a pas encore notifié officiellement son retrait, comme le prévoit l'article 50 du traité de l'UE. La Première ministre Theresa May a prévu de le faire en principe avant fin mars", rappelle l'universitaire selon qui "le Brexit aura bien lieu", tandis que d'autres experts font le pari d'un "Bremain".

David Cameron, prédécesseur de Mme May, "a voulu régler un problème interne au Royaume-Uni en se servant de l'UE. Et maintenant il faut gérer...", résume-t-il. "Le temps presse, en raison des nombreuses inconnues de la négociation à venir et afin d'éviter la confusion! Il paraît urgent que les négociations de retrait débutent dans les meilleurs délais et se terminent au plus vite".

Aussi, "l'UE et le Royaume-Uni doivent négocier un accord de rupture, réussir leur séparation, afin qu'Etats membres et institutions de l'Union puissent s'attaquer sans tarder à la refondation du processus d'intégration européenne", plaide le responsable du pôle de droit européen de l'Institut de recherche sur l'évolution de la nation et de l'Etat (IRENEE).

"Bien que les 27 Etats membres n'aient pas eu une discussion sur le fond de la négociation du Brexit, sa complexité est susceptible de faire voler en éclats leur unité. Elle semble cependant s'être cristallisée, lorsqu'ils ont pris conscience que toute concession accordée au Royaume-Uni pouvait entraîner la dislocation de l'UE et susciter d'autres velléités de retrait", analyse Yves Petit.

"Le négociateur en chef de l'UE, le Français Michel Barnier, spécialiste du marché intérieur et des questions financières, qui sont les deux points clés à régler, n'a pas hésité à donner sa vision du Brexit : un accord clair, négocié dans le temps limité, qui prenne en compte les intérêts des Vingt-Sept et préserve leur unité, selon ses propres termes", poursuit-il.

Avant d'ajouter : "Difficile de prédire si le Brexit sera hard ou soft, même s'il semble que Theresa May soit plutôt favorable à un hard Brexit, caractérisé par une volonté de tourner le dos au marché unique".

"Après le Brexit, l'Union européenne subit des attaques tous azimuts", ne peut que constater le directeur du Centre européen universitaire de Nancy. "Il est devenu indispensable de reconstruire l'Europe, de repenser la construction européenne afin qu'elle retrouve une nouvelle légitimité. Ce qui soulève de nombreuses questions : faut-il plus ou moins d'Europe? Doit-on prendre l'orientation d'une Europe à plusieurs cercles, avec un noyau central (ou dur), un cercle intermédiaire, un cercle périphérique et formaliser l'intégration différenciée?", interroge-t-il.

Outre le Brexit, Yves Petit relève "quatre autres chantiers urgents et d'une grande priorité : approfondir l'Union économique et monétaire; parachever l'accord de Schengen afin d'éviter qu'il ne devienne le 'fossoyeur de l'idée européenne'; doter l'UE d'une politique étrangère et de sécurité commune (PESC) digne de ce nom; combler le fossé grandissant entre l'UE et le citoyen".

Mais, alors que les indicateurs économiques ne s'améliorent guère dans l'UE, que les 27 étalent leurs divisions sur la politique migratoire à mener, tandis réfugiés et migrants continuent d'affluer sur les côtes italiennes et que l'avenir des relations avec la Turquie reste des plus incertains, Yves Petit peine à trouver des motifs d'optimisme.

"La réalité est que la grande majorité des dirigeants politiques européens n'ont qu'une vision à court terme des enjeux européens, paralysante pour la construction européenne. L'UE manque singulièrement d'un leadership, d'un couple Mitterrand-Kohl proposant aux citoyens européens un grand dessein européen. Cette cruelle absence fait de l'Union européenne un bateau ivre sans cap et, en l'absence d'un projet clair et mobilisateur, une construction mortelle", déplore-t-il.

"La chancelière Angela Merkel est certes la femme politique la plus importante en Europe, mais elle fait d'abord une politique allemande (...) Le couple franco-allemand, si crucial dans l'histoire de la construction européenne, est inexistant. Il n'y a pas de vision commune entre Paris et Berlin", déplore-t-il.

Dans un tel contexte, l'UE risque d'être encore davantage "marginalisée face aux Etats-Unis et à la Chine". "L'Europe, le président américain Donald Trump n'en parle pas beaucoup (...) Il a annoncé vouloir se désengager de l'OTAN. Son élection est potentiellement beaucoup plus problématique pour l'Europe que pour Pékin", conclut-il.

(Par Claudine Girod-Boos)

(Rédacteurs :Guangqi CUI, Wei SHAN)
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