Après 18 mois de négociations secrètes, les relations américano-cubaines, qui ont été un des sujets les plus sensibles des mandats des dix précédents présidents américains, sont enfin entrées dans un processus de normalisation, et ce jour historique est arrivé alors que Fidel Castro est toujours vivant.
Le 17 décembre, les Etats-Unis et Cuba ont échangé des prisonniers, Cuba ayant libéré un contractant du gouvernement américain détenu depuis cinq ans Alan Gross, ainsi qu'un espion, tandis que les États-Unis ont relâché trois espions cubains, signalant le début de l'amélioration des relations entre les deux pays. Le président américain Barack Obama et le président des Conseils d'Etat et des ministres de Cuba, Raul Castro, ont chacun prononcé un discours, annonçant le début des négociations pour la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays.
On s'en doute, tout cela n'est pas arrivé soudainement. Après les élections de mi-mandat, les membres républicains du Congrès nouvellement élus vont prendre leurs fonctions au début du mois prochain ; Barack Obama a fort opportunément choisi d'annoncer la normalisation des relations américano-cubaines avant que les Républicains prennent le contrôle de la Chambre des représentants et du Sénat. Ce sera un legs important de la diplomatie du Président américain. Mais si certains législateurs républicains menacent d'entraver ce processus, la normalisation des relations entre Cuba et les États-Unis semble désormais inéluctable.
Quels signaux envoie l'ouverture du processus de normalisation des relations américano-cubaines ?
Premier signal, les politiques hostiles au régime communiste se sont révélées aussi impopulaires qu'inefficaces. Après la victoire de la Révolution cubaine en 1959, le gouvernement américain a commencé à adopter une attitude hostile envers Cuba. En 1961, après l'échec désastreux de la tentative d'invasion de Cuba de la Baie des Cochons par des mercenaires appuyés par les Etats-Unis, ceux-ci ont rompu leurs relations diplomatiques avec Cuba. En 1962, le président américain John F. Kennedy a signé un décret annonçant officiellement le blocus économique et financier de Cuba ainsi qu'un embargo commercial.
Depuis lors, les États-Unis ont tenté à des centaines de reprises d'assassiner Fidel Castro et de renverser le régime communiste à Cuba, en vain. La reconnaissance par l'administration Obama de l'échec complet de sa politique hostile au régime socialiste est une indéniable preuve de courage.
Deuxième signal, mettre en place un blocus et une politique de sanctions politiques revient à se tirer une balle dans le pied. Depuis plus d'un demi-siècle que dure l'embargo commercial contre Cuba, non seulement les sanctions économiques n'ont apporté aucun avantage aux États-Unis, mais elles leur ont fait perdre beaucoup, ternissant leur réputation internationale. L'embargo a rendu impossible l'entrée à Cuba de produits indispensables. La logique interne de l'ancien embargo américain visait à empêcher les entrées de capitaux américains à Cuba. Mais face à un marché mondial actuel de plus en plus intégré, en même temps que Cuba a été victime de pertes économiques, les entreprises américaines ont été totalement exclues du marché cubain. En outre, la politique hostile des États-Unis envers Cuba n'a cessé de semer la discorde dans leurs relations avec les pays d'Amérique Latine au sein de l'Organisation des États américains et de la Banque interaméricaine de développement, minant la crédibilité et l'influence des Etats-Unis dans cette région.
Au fil des ans, tous les pays d'Amérique latine, y compris les plus proches alliés des États-Unis, n'ont cessé de s'opposer à l'embargo commercial contre Cuba, appelant à la normalisation des relations entre les deux pays. Dans ce processus, le Pape François, d'origine argentine, a joué un rôle-clé dans les pourparlers de normalisation.
Troisième signal, la peu convaincante politique américaine de retour en Asie-Pacifique s'en trouve d'ores et déjà modifiée. La normalisation des relations avec Cuba, en faisant disparaitre un obstacle à une implication profonde des Etats-Unis dans les affaires de l'Amérique latine, est aussi le signal concret d'un amendement de la politique américaine de retour en Asie-Pacifique.
Depuis l'annonce, à la fin de l'année dernière, de la fin de la Doctrine Monroe par les Etats-Unis, les bases politiques pour une amélioration des relations entre les Etats-Unis et Cuba étaient posées. Le réchauffement des relations entre les Etats-Unis et Cuba est le symbole de l'intérêt que portent ceux-ci aux Amériques. Il n'est donc pas difficile à comprendre pourquoi c'est ainsi le Canada qui a accueilli quelque sept réunions entre les États-Unis et Cuba, afin de faciliter la normalisation des relations entre les deux pays.
En annonçant la normalisation des relations avec Cuba dans un discours télévisé, Barack Obama a montré que la politique cubaine des États-Unis les a isolés de leurs partenaires régionaux et internationaux ; non seulement cela a limité la capacité des États-Unis à exercer leur influence dans l'hémisphère occidental, mais aussi limité les mesures qu'ils auraient auraient pu prendre pour promouvoir des changements positifs à Cuba.
Il semble manifestement que, puisque les États-Unis n'arrivent pas vraiment à reprendre pied en Asie, ils songent désormais sérieusement à s'intéresser à nouveau aux Amériques.
Par Wang Yiwei, Directeur de l'Institut des affaires internationales et professeur de relations internationales à l'Université Renmin de Chine.