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Deux sessions : l'ambassadeur du Luxembourg en Chine s'intéresse au 13e Plan quinquennal chinois

Xinhua | 11.03.2016 08h04

M. Paul Steinmetz, ambassadeur du Luxembourg en Chine, a accordé récemment une interview exclusive à Xinhuanet, à l'occasion des "deux sessions" de l'Assemblée populaire nationale (APN, parlement chinois) et du Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC, organe consultatif politique suprême de Chine), qui se déroulent actuellement à Beijing, capitale chinoise. L'ambassadeur a exprimé son attention sur le 13e Plan quinquennal chinois, son admiration sur le sens positif de l'établissement de la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures (BAII) et son avis sur l'avenir de l'Europe. Voici le texte de l'interview :

Q: Les "deux sessions" sont une fenêtre pour connaître les tendances du développement de la Chine. Monsieur l'ambassadeur, vous êtes le lien le plus direct entre votre pays et la Chine. Quels sont les sujets qui vous intéressent le plus au cours des "deux sessions" et pourquoi ?

Steinmetz: C'est l'atmosphère générale qui nous intéresse. Pour le fond, ce qui nous intéresse cette fois, c'est le 13e Plan (quinquennal chinois). S'il y a des révélations des nouveautés et des détailles qu'on ne connaissais pas encore parce que jusqu'ici on connaît juste les grandes lignes. Et donc plus particulièrement pour les Européens, ce sont les questions comme la réforme, le vertu de l'économie, l'internationalisation du Renminbi, les surcapacités, la diminution de surcapacités, la "supply side policy" qui nous intéressent. Et donc nous allons essayer de lire à travers les lignes des discours pour savoir ce qui se passent vraiment. Il y a aussi un gros thème en Chine dont les étrangers ne parlent pas très souvent, c'est bien sûr la pauvreté. Il reste, je crois, 70 millions de pauvres officiellement, et donc c'est un sujet à la campagne. C'est aussi un des thème, je l'espère, de ce Congrès.

Q: Cette année marque le début du 13e Plan quinquennal chinois. La Chine s'engage à mettre en oeuvre la stratégie de développement axé sur l'innovation. D'après vous, comment la Chine pourra-t-elle réaliser un développement innovant?

Steinmetz: Cela ne se décrète pas seulement de haut, ça se facilite d'en haut avec des budgets bien sûr. Il faut créer les conditions pour que ça fonctionne. Donc on parle beaucoup ici de "supply side", réforme de l'offre, donc rationalisation de l'économie. Ensuite, il faut trouver de l'argent bien sûr pour la recherche de l'innovation, pour l'éducation. Et on dépense en plus en recherche et en sciences qu'il y aura une meilleure innovation en Chine, une innovation plus rapide. Les conditions sont là : le peuple chinois est nombreux, les écoles sont en général bonnes. Mais il faut bien sûr nourrir cet héraut. Il faut aussi garder la Chine ouverte aux échanges par les étudiants chinois qui vont à l'étranger, par les étrangers qui viennent en Chine avec les biens qui sortent mais aussi avec les idées qui viennent et qui sortent. Je pense aussi aux manuels scolaires, aux professeurs et je pense aussi à Internet.

Q: Ces dernières années, la Chine s'engage à réaliser l'initiative "La Ceinture et la Route", proposée par le président chinois Xi Jinping. D'après vous, quelles bénéfices cette initiative a-t-elle apportés à votre pays? Quelles sont les défis? Dans quels secteurs la Chine et le Luxembourg pourront-ils coopérer dans le cadre de cette initiative?

Steinmetz: Cette idée de lier la Chine et l'Europe, elle existe déjà depuis assez longtemps. L'idée de lier l'Europe à travers l'Asie centrale et le Moyen-Orient qui sont les zones pas toujours très stables, pas assez développées, c'est une excellente idée, et l'Europe est très contente. Le Luxembourg en particulier aussi. Ça fait déjà beaucoup de temps que nous participons de fait à cette idée. On est une place financière, donc l'argent d'Europe vient en Chine à travers le Luxembourg. On crée des fonds qui sont spécialisés, qui investissent aux bourses chinoises pour le long terme. Il y a aussi de l'argent chinois qui va en Europe à investir l'Europe dans l'économie européenne à travers le Luxembourg. La moitié des investissements en Europe de la Chine se fait à travers les sociétés au Luxembourg, donc une structuration financière. Mais depuis peu, on fait mieux dans l'économie réelle, on a une compagnie de cargo aérien, de fret aérien. C'est la plus grande de l'Europe. Elle ne fait que de fret aérien, pas de vol passager. Et elle vole depuis longtemps vers la Chine mais elle a noué un partenariat avec la province du Henan (Zhengzhou) pour développer l'aéroport et le commerce. Donc les vols ont augmenté de presque 50% et maintenant on a 30 vols par semaine vers la Chine. Tous ça c'est le long de l'Asie centrale. Ces vols vont vers la Chine mais ils s'arrêtent toujours en Asie centrale. Et on a essayé de construire sur cette relation aérienne, tant financière, aérienne et maintenant on envisage le chemin de fer. Très souvent quand on parle de la nouvelle Route de la Soie, effectivement ce sont des projets de chemins de fer. Il reste à rénover les chemins de fer par le nord, par la Russie et par le sud, par l'Azerbaïdjan et tout ça. Et le Luxembourg est en train de travailler avec les chemins de fer du Henan, avec les chemins de fer turcs pour développer une ligne du sud. Donc pour ramener du fret de Chine en Europe, ce qui est moins cher que l'avion. C'est un peu complémentaire, il y a le fret par avion pour les produits de luxe, ou les produits urgents, et le fret par la chemin de fer qui est plus lent mais moins chère. L'enjeu, c'est les deux tableaux et cette idée de la Route de la Soie, elle vient de haut, mais elle donne une nouvelle énergie à tout ce qui doit prendre des décisions, avoir des idées et mettre tout ça en oeuvre.

Q: La Chine est entrée dans une ère de "nouvelle normalité" économique. La réforme structurelle, celle de l'offre en particulier, se déroule dans le domaine de l'économie chinoise. De nombreux observateurs occidentaux prédisent un atterrissage brutal pour la Chine. À votre avis, la Chine est-elle menacée par un atterrissage brutal? Quel est votre commentaire sur la perspective de la croissance économique chinoise en 2016?

Steinmetz: Je crois qu'il faut évider deux écueils, deux obstacles. Il ne faut d'abord pas se focaliser sur un taux de croissance qui est fixé une fois pour toute à la virgule près. L'économie n’est pas une science exacte. Par exemple, le Luxembourg, nous révisons tous les six mois les chiffres de la croissance. Même si le gouvernement veut une certaine croissance, ça n'est pas jamais comme ça. Donc, Il faut plutôt tendre vers une croissance qui est saine, qui se fait sans trop de dettes, avec une économie qui est restructurée et avec une croissance à long terme qui ne crée pas trop de dommages à l'environnement. Ce sont des thèmes qui sont très connus, qui sont très débattus en Chine.

Le deuxième écueil qu'il faut éviter: il ne faut pas faire des pronostics trop définitifs. Donc une chute grave, "hard landing", ou un atterrissage en douceur, ou toutes d'autres évolutions, c'est très difficile à prédire, parce que tout ne dépend pas de la Chine elle-même, ça dépend aussi de l'environnement mondial. Il y a plusieurs questions, grandes questions. En général, ce sont les taux d'intérêts aux États-unis. Est-ce qu'ils vont continuer à monter? Quel est l'effet de la montée des taux d'intérêts des États-Unis? C'est la flux de liquidités parce que les taux étaient longtemps tellement bas, y compris en Europe, surtout aux États-Unis. Ils étaient plus haut en Chine. Et maintenant il y a un changement dans tout ça et donc ça a créé des déséquilibres et la flux du passé des liquidités peut créer des bulles spéculatives. Tout ça c’est un thème entre les banquiers centraux. Il y a beaucoup d'argents qui circulent encore. Et puis il y a le prix des matières premières, il y a les surcapacités en Chine qui influencent sur le commerce international. Il n'y a pas seulement la Chine, il y a aussi des pays comme le Brésil, l'Indonésie, l'Australie qui ont une influence sur l'économie mondiale. Il faut aussi voir en Europe, si les problèmes internes en Europe avec certains changements des gouvernements et les réactions contre l'austérité dans plusieurs pays d'Europe du sud. Il y a aussi la question du Brexit, la sortie éventuelle du Royaume-Uni au nom de l'Union européenne vont influer sur la macro-économie.

Moi, je ne parlerais pas de chute brutal, je parlerais plutôt de l'incertitude générale sur l'économie mondiale. La Chine est une économie très ouverte dépendant de l'étranger, donc elle est pleinement exposée aux risques étrangers. Il faut donc qu'il y ait un dialogue entre banques centrales, entre gouvernements, entre ministres des finances pour diminuer les risques. Il faut surtout bien communiquer et bien s'échanger entre nous.

Q: Depuis le lancement du concept du Rêve chinois en 2012, le président chinois Xi Jinping a repris en de nombreuses occasions les concepts des Rêves de l'Asie-Pacifique, de l'Afrique, de l'Amérique latine et du monde, et a transmis puissamment le concept de développement de la Chine. Quel est votre avis sur ce concept? Dans quels domaines, d'après vous, la Chine et le Luxembourg pourront-ils partager les opportunités de développement?

Steinmetz: Nous rêvons tous d'une meilleure croissance, d'une croissance plus forte, et d'une croissance qui profite à nos deux pays. Le Luxembourg peut bien sûr aider dans le secteur des services, de la finance, comme j'ai expliqué avant pour la nouvelle Route de la Soie dans les échanges, dans l'économie réelle. Pour les finances, les principales banques chinoises, 6 banques, il y en a d'autres qui sont des candidates, ont déjà été installées au Luxembourg. Ça c'est déjà une contribution à l'internationalisation de l’économie de la finance chinoise et du Renminbi. Et nous avons beaucoup à contribuer au niveau des universités, par exemple la recherche. Nous avons un programme et nous travaillons avec les matières mathématiques de recherche fondamental aux cryptologies, avec des universités à Beijing, des universités à Shanghai, la Fudan University. Donc nous allons développer encore cela, ainsi nous allons tous mieux nous développer. Nous ne faisons pas ça pour l'échange humain. ll n'y a pas assez étudiants luxembourgeois en Chine. Nous essayons de les encourager. C'est très loin ici, et il y a des obstacles de la langue. Il y aussi un système juridique économique différent. Il y a plus d'étudiants chinois au Luxembourg, donc ça c'est bien. Et nous les encouragions bien sûr à venir.

Q: En 2015, le Luxembourg a rejoint la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures en tant que premier membre fondateur non régional. Que pensez-vous de l'établissement de la BAII? Quelles bénéfices la BAII apportera-t-elle à votre pays?

Steinmetz: Nous nous félicitons de cette initiative et nous avons effectivement vite décidé de joindre. La banque a été officiellement mise en route en janvier de cette année. Et donc après une année (ndlr : janvier 2016), notre ministre des Finances était venu pour l'inauguration. Il y avait le président Xi, le ministre des Affaires étrangères, le ministre des Finances. Et notre ministre a fait un discours remarqué. Il était le seul à intervenir pour les non- régionaux, et donc, il a rappelé les grands principes. Nous nous félicitons de cette initiative chinoise, et avec l'énergie de la Chine et avec un peu de l'argent aussi, on est sûr que cette banque va être positive. Elle va aider au développement de ce continent. La banque va être, comme ses créateurs l'indiquent, "clean, lean, green". Elle va être propre. Elle va être verte. Mais nous ajoutons toujours, et je crois que le ministre chinois des Finances est d'accord avec nous, qu'il faut que le secteur privé participe à tous les financements. C'est très important. Ce n'est pas vraiment une banque publique. C'est une banque qui lance des projets, mais qui va fédérer plusieurs initiatives dans les secteurs privés. Il ne suffit pas d'argent internationale ou chinois ou les deux. Il faut une initiative privé multinationale. Et en plus, cette banque doit coopérer avec les institutions financières internationales existantes comme la banque mondiale, la banque asiatique de développement pour que tous, on travaillent dans la même direction. Pour le Luxembourg, à titre bilatéral, il n'y a pas de bénéfices à cette banque puisque nous n'allons pas profiter de ce développement, puisque nous sommes pas asiatique, mais nous sommes déjà membre de la banque asiatique de développement. C’est un peu notre contribution au développement de la région. Et à moyen terme, nous allons profiter parce qu'il y a la croissance et les gens pourront acheter des produits européens ou luxembourgeois, investir en Europe. Et donc, tout ça, à long terme, c'est positif. Mais nous ne cherchons pas directement des postes dans la banque ou à prendre part à des sous-missions pour des projets. Nous n'avons jamais rien gagné avec la banque asiatique de développement non plus. Donc c'est vraiment une initiative pour le développement.

Q: L'Europe fait face à des défis sérieux, comme la crise des réfugiés, et la crise du Brexit. L'Europe est-elle en déconstruction? Quel avenir pour l’Europe, d'après vous?

Steinmetz: Mon ministre des Affaires étrangères est le ministre le plus ancien au rang, c'est-à-dire qui est le doyen ministre européen des Affaires étrangères. Il est là depuis presque quinze ans. Il vient de lancer un avertissement. On a pu le lire dans la presse. Il dit qu'il faut faire attention que les ministres, que les gouvernements européens ne devraient plus faire de campagnes électorales internes sur le dos de l'Europe. C'est-à-dire qu'ils ne doivent plus accuser l'Europe d'être à l'origine des problèmes.

Ce sont eux qui sont à l'origine des problèmes. L'Europe apporte des réponses. Et en ce moment, il y a en Europe effectivement un problème parce qu'il y a plusieurs gouvernements qui essaient de s'attirer la faveur du peuple en disant que ce n'est pas leur problème, que c'est l'Europe/Bruxelles qui crée des problèmes, et qu'il suiffit de les élire pour rétrécir le rôle de l'Europe. Et donc nous ne sommes pas du tout de cet avis. Nous pensons qu'il y a, qu'on est une famille, que nous sommes une famille. Et qu'il faut régler les problèmes en famille, et pas contre la famille, c'est une conception très chinoise. Il faut travailler dans la famille. Et il y en a certains qui ont une autre tendance à faire cavalier seul.

Nous ne trouvons pas bien ce genre de campagnes électorales ou les référendums, qui posent des questions, pas seulement l'Angleterre qui pose des questions sur l'Europe. C'est potentiellement très dangereux. Nous ne pensons pas non plus qu'ils faillent ériger des barrières, des barbelés entre les frontières. Vous savez que les frontières sont en principe ouvertes. Dans l'urgence, on a du fermer plusieurs frontières ou créer des ralentissements parce qu'il y a eu des demandeurs d'asile, trop de demandeurs d'asile. Avec cela, on risque en même temps de créer de nouvelles frontières où il n'y avait pas. C'était un très grand acquis de l'Europe. Tout ça pour arrêter un flux des réfugiés qu'il est illégal d'arrêter, parce que tous nos pays ont des obligations de contracter en signant les conventions des Nations Unis sur la protection des réfugiés, et donc il faut laisser passer les réfugiés. il faut voir si c'est les vrais réfugiés, et alors les reconnaître ou les refuser, et les renvoyer à leurs pays d'origine. On ne peut pas créer des barbelés. Et donc notre ministre, notre gouvernement sont très claires. Tout ça, c'est dangereux.

Je ne dirais pas que l'Europe est en déconstruction. L'Europe a traversé une crise qui était très grave. La crise de l'euro, de la monnaie unique suite à la crise qui a commencé aux Etats-Unis en 2008 avec les grands déséquilibres financiers. On s'en est à peine sorti et maintenant on a une crise qui touche plus que la monnaie, qui touche nos valeurs. L'ouverture des frontières, la protection des droits de l'homme, et même des étrangers qui bénéficient en principe des mêmes droits de l’Homme que les Européens. Donc tout ça, c'est une crise peut-être plus importante qu'avant, mais nous, de nôtre côté, nous militons pour qu'il y ait une solution en famille. Nous espérons qu'après un certain moment de désordre, voire de panique, parce qu'il y a eu trop, clairement, il y a eu trop de mouvements de population durant la dernière année, que les choses vont se calmer, qu'on va réussir à trouver des solutions tant en Syrie, qu'en Irak, que dans les camps de réfugiés grâce aux financements des camps de réfugiés, tant en Turquie, en ayant une meilleur contrôle de la frontière, qu'en Grèce en traitant les réfugiés, les demandeurs d'asile sur place, et puis en Europe même, en les partageant, en les départageant mieux. C'est un problème de multiples facettes. Il n’est pas facile. Il n'est pas possible de dire que l'Europe est en train de se déconstruire. Il vaut mieux dire que l'Europe a des problèmes à trouver une solution opérationnelle, parce que le problème est très très très compliqué.

(Rédacteurs :Yishuang Liu, Guangqi CUI)
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