Dernière mise à jour à 08h46 le 14/09
Les relations entre les trois branches du pouvoir au Kenya sont au plus bas alors que font rage les tensions politiques liées à l'annulation de l'élection présidentielle du 8 août par la Cour suprême.
Les trois pouvoirs que sont l'exécutif (gouvernement), le législatif (Parlement) et le judiciaire, semblent s'opposer les uns aux autres, et leurs chefs et membres respectifs tiennent des discours très différents.
Cette scission remonte au verdict de la Cour suprême le 1er septembre, qui a annulé les résultats des élections du 8 août donnant la victoire au président Uhuru Kenyatta.
Immédiatement après cette victoire, M. Kenyatta a qualifié "d'escrocs" les quatre juges de la Cour suprême qui ont décidé de cette annulation, s'en prenant au pouvoir judiciaire et à son représentant le juge en chef de la Cour suprême, David Maraga, sur des forums publics.
"Je pense qu'à cause des robes qu'ils portent, ils se croient plus intelligents que les autres Kenyans", a déclaré M. Kenyatta à propos des juges de Cour suprême, visant spécifiquement M. Maraga.
"Nous retournerons demander l'avis des électeurs et lorsque nous aurons gagné, nous réexaminerons tout ça. Qui vous a élu ? Nous avons un problème et nous devons le régler", a-t-il ajouté.
M. Kenyatta a été largement critiqué pour cette attaque et il ne s'est pas rétracté depuis, et les analystes observent qu'il attend probablement le résultat du scrutin du 17 octobre, dans lequel il a fait vœu de prendre sa revanche.
Les relations tendues entre les pouvoirs exécutif et judiciaire se sont encore dégradées mardi lorsque le pouvoir judiciaire s'est abstenu, pour la première fois de l'histoire de ce pays d'Afrique de l'Est, d'assister à la séance d'ouverture du 12ème Parlement.
La Constitution prévoit que le président doit s'adresser au Parlement nouvellement élu dans les 30 jours suivant l'investiture des députés.
En conséquence, les six juges de la Cour suprême doivent par tradition assister à cette session dans laquelle le président dévoile son programme législatif.
Toutefois, les responsables de la Cour suprême ont déclaré ne pas avoir été invités, tandis que le président de l'Assemblée nationale affirme avoir envoyé ces invitations.
"J'ai été informé qu'ils avaient été invités. Nous les invitons toujours, du moins le juge en chef de la Cour suprême et les autres juges de fonctions équivalentes. Je ne sais pas pourquoi ils ne sont pas venus", a déclaré le président de l'Assemblée, Justin Muturi.
Les députés d'opposition élus comme représentants de la Super-alliance nationale (NASA), étaient également absents de cette session parlementaire mardi.
Ces députés ont organisé un geste d'abstention durant l'adresse de M. Kenyatta aux deux chambres du Parlement. Ils ont souligné que le président n'avait pas été élu en bonne et due forme et par conséquent ne devait pas effectuer cette cérémonie.
La candidat de la NASA à la présidentielle, et rival de M. Kenyatta, Raila Odinga, a qualifié mardi d'illégale l'ouverture de la session parlementaire.
"En tant que députés d'opposition, nous trouvons politiquement malsain d'assister à cette séance au Parlement pour écouter quelqu'un qui doit encore affronter notre chef de parti lors du scrutin du 17 octobre", a déclaré le député de la NASA, Opiyo Wandayi, en écho à M. Odinga.
Les observateurs ont des opinions divisées sur ce conflit de territoires entre les trois branches du pouvoir, et les analystes invitent les dirigeants à mettre de côté leurs divergences pour servir le pays.
De leur côté, les partisans de M. Kenyatta ont qualifié le chef du pouvoir judiciaire et les responsables de la NASA de conspirateurs agissant de connivence.
"Le pouvoir judiciaire et la NASA boycottent le Parlement. Ils doivent conspirer ensemble", a déclaré mercredi l'analyste Mutahi Ngunyi, partisan de M. Kenyatta.
"Alors le pouvoir judiciaire et la Cour suprême du Kenya se sont associés à la NASA pour boycotter l'ouverture du Parlement ? Elle est belle l'indépendance du pouvoir judiciaire", a déclaré le sénateur du parti du Jubilé (parti au pouvoir), Kichumba Murkomen, dénonçant ces deux instances.
Les partisans de l'opposition pour leur part soulignent que les attaques de M. Kenyatta contre le pouvoir judiciaire ont suscité les craintes et les ont dissuadés d'assister à cet événement.
"Dans le Commonwealth, les juges de la Cour suprême assistent avec respect au premier discours du président devant le Parlement. Mais pas aujourd'hui. Le pouvoir judiciaire ne cautionnera pas une fraude à l'encontre des Kenyans. S'il était désespéré, le Jubilé aurait dû inviter uniquement les juges de Cour suprême qui ont voté en sa faveur", déclare l'avocat Nelson Havi, favorable à l'opposition.
Henry Wandera, professeur d'économie à Nairobi, a observé que les tensions entre les trois branches du pouvoir n'étaient pas une bonne chose pour le pays.
"La crise actuelle est annonciatrice de moments difficiles à venir car ces trois institutions essentielles ne peuvent pas servir les Kenyans de leur mieux si leurs dirigeants et leurs membres sont en désaccord. Les dirigeants devraient mettre de côté leurs divergences pour travailler ensemble comme le stipule la loi", a-t-il dit, observant que ces tensions pourraient persister même après le 18 octobre car le juge en chef de la Cour suprême, qui doit procéder à l'investiture du président désigné, conservera son mandat dans tous les cas.