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France : "le FN est dans une configuration paradoxale", selon le spécialiste français Jean-Yves Camus

Xinhua | 03.09.2017 12h45

Après sa qualification historique au second tour de la présidentielle en mai dernier, le parti d'extrême droite Front national (FN) est "dans une configuration paradoxale", selon Jean-Yves Camus, politologue français et directeur de l'Observatoire des radicalités politiques-Fondation Jean-Jaurès, interviewé par Xinhua.

"D'un côté, Marine Le Pen a remporté le plus haut score jamais atteint par son parti lors d'une présidentielle et elle a été largement élue députée, le FN atteignant huit élus contre deux dans la précédente assemblée. Mais de l'autre côté, elle a largement perdu le second tour et le FN n'a pas atteint les 15 députés nécessaires pour former un groupe parlementaire. D'où un énorme sentiment de frustration chez les militants, les cadres et les élus, qui pensaient que cette fois, la victoire était possible", explique-t-il.

"Cette victoire aurait été de l'ordre du miracle", a précisé le politologue français : "au second tour, on a bien vu qu'Emmanuel Macron rassemblait contre Marine Le Pen de manière très large. Et si François Fillon n'avait pas commis les erreurs qui ont fait basculer sa campagne, il aurait pu empêcher Marine Le Pen de se qualifier pour le second tour."

Interrogé sur les perspectives du parti d'extrême droite, Jean-Yves Camus estime qu'à moyen terme, l'objectif du FN sera d'"envoyer en 2019 un nombre de députés égal à l'actuel au Parlement européen, en profitant du fait qu'il s'agit d'un scrutin à forte abstention, sans enjeu national et qui mobilise bien les votes de protestation, puis en 2020, augmenter le nombre des communes qu'il gère".

L'objectif à plus long terme du FN est de remporter la présidentielle de 2022. "Mais gagner signifie atteindre, seul, le seuil des 50% au 1er tour, ce qui est infaisable" ou bien "arriver en tête au 2e tour par un report de voix massives", affirme Jean-Yves Camus.

"Le débat interne au FN porte sur la question de savoir où est ce réservoir de voix. A droite, disent Marion Maréchal et ses amis. A gauche, dit Florian Philippot, qui espère qu'à défaut de basculer vers le vote FN, l'électorat de la gauche radicale (La France Insoumise), peut, au minimum, s'abstenir pour ne pas servir de caution au 'système'", explique le politologue français, rappelant qu'au second tour de la présidentielle de 2017, seulement 20% des fillonistes se sont reportés sur Marine Le Pen, et 7% des mélenchonistes.

Il rappelle également que 24% des électeurs de La France insoumise se sont abstenus, mais que 52% d'entre eux ont voté pour Emmanuel Macron, malgré leurs profondes divergences politiques, pour ne pas avoir à voter FN. "La conclusion est que ceux qui veulent 'droitiser' le FN et ceux qui veulent aller vers les électeurs de gauche ont peut-être tous les deux tort. Le FN est peut-être condamné à rester perdant car il est encore victime d'un rejet massif", explique-t-il.

Concernant l'état actuel du parti d'extrême droite français, l'étape à venir est celle de la "refondation" voulue par Marine Le Pen, qui devrait être le sujet du congrès prévu pour 2018. "Le désaccord est grand sur ce sujet", souligne Jean-Yves Camus.

"Désaccord sur la sortie de l'Europe et de l'euro, sur d'éventuelles alliances à droite, sur la ligne 'ni droite, ni gauche'. Certains, comme Robert Ménard, maire de Béziers, vont même jusqu'à mettre en cause la capacité de Marine Le Pen à faire gagner le FN, oubliant par là-même que c'est le FN de Marine Le Pen, dont il n'est pas membre, qui lui a permis de devenir maire", indique le politologue français.

Selon lui, le clivage principal est entre ceux qui pensent que le FN gagnera sur l'économie et le social (la ligne de Florian Philippot) et ceux qui privilégient l'identité et le sociétal, en particulier le combat sur l'immigration et les valeurs traditionnelles, ligne qu'incarnent Marion Maréchal et ses proches.

"La nièce de Marine Le Pen n'est pas vraiment 'portée', après l'annonce de sa mise en retrait du FN pour aller dans le secteur privé. Si elle veut que sa ligne l'emporte, il faudra bien qu'elle revienne en politique", analyse le spécialiste français, ajoutant que "la question est de savoir si ce sera pour 2022 ou après, une fois que la troisième candidature de Marine Le Pen aura échoué".

Les hauts scores de partis d'extrêmes comme le FN et La France insoumise (FI) lors du premier tour de l'élection présidentielle résultent de la "crise profonde en Europe" que traversent actuellement la démocratie représentative, les partis traditionnels et même la notion de parti, explique Jean-Yves Camus.

"C'est une des raisons pour lesquelles le score cumulé du FN et de la FI, qui ont des dimensions populistes, était de 30% au premier tour de la présidentielle. Mais le vote en faveur d'Emmanuel Macron portait aussi en lui une contestation des vieux partis comme de la manière ancienne de faire de la politique", estime-t-il.

Interrogé sur les relations du FN avec des partis d'autres pays, Jean-Yves Camus explique que des "liens privilégiés" existent avec le Parti pour la liberté (PVV) du néerlandais Geert Wilders, la Ligue du Nord (Lega Nord) italienne, le Parti de la liberté d'Autriche (FPÖ) et l'Alternative pour l'Allemagne (AfD).

"Les gouvernements, de droite comme de gauche, des pays où le FN a des alliés, s'inquiètent des scores de la droite populiste et de l'affaiblissement du sentiment pro-européen", souligne le politologue français, rappelant toutefois que le PVV a perdu les élections cette année et que même si l'AfD entre au Parlement allemand en récoltant 10% des voix aux élections législatives du 24 septembre prochain, elle restera une force en marge du gouvernement allemand.

"Seul le FPÖ a des chances, aux élections du 15 octobre, de devenir le partenaire, comme cela s'est déjà fait, d'une coalition, soit avec les conservateurs, soit même avec les sociaux-démocrates", estime Jean-Yves Camus.

(Rédacteurs :Guangqi CUI, Wei SHAN)
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