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France/scandale Cahuzac : l'arbre qui cache la forêt

Xinhua | 08.09.2016 13h54

Au-delà du procès très médiatisé de l'ancien ministre français du budget Jérôme Cahuzac qui comparaît jusqu'au 15 septembre pour fraude fiscale et détention d'un compte à l'étranger se pose la question de l'inefficacité de la lutte contre l'évasion fiscale et la corruption dans un pays où les "affaires" sont légion et où l'éthique politique est en berne.

Près de quatre ans après avoir déclenché le plus retentissant scandale du quinquennat du Président français Hollande, Jérôme Cahuzac, autrefois chantre de la transparence et de la rigueur budgétaire, désormais englué dans une affaire de dissimulations d'avoirs personnels à l'étranger, n'en finit pas de semer la pagaille dans la vie politique de l'Hexagone. L'ex-ministre socialiste n'a en effet pas hésité, lundi, à l'ouverture de son procès devant le tribunal correctionnel de Paris, à mettre en cause Michel Rocard, Premier Ministre français de 1988 à 1991, décédé le 2 juillet dernier.

L'affaire Cahuzac a débuté en décembre 2012, quand le site d'information Mediapart a révélé l'existence d'un compte caché, d'abord en Suisse puis à Singapour, de celui qui est désormais surnommé "Le Pinocchio de la République française". Après avoir nié les faits avec la dernière énergie, l'ancien ministre du budget avait présenté sa démission quatre mois plus tard en avouant qu'il avait menti, provoquant un véritable tollé dans l'opinion comme dans la classe politique. Du plomb dans l'aile de "la République exemplaire" prônée par le Président Hollande.

L'ancien ministre du Budget est cependant loin d'être le seul représentant politique mis en cause dans des affaires. De multiples enquêtes ont été lancées après des signalements de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) créée après l'affaire Cahuzac dans le but d'examiner les revenus de 9 000 décideurs publics (ministres, élus, hauts fonctionnaires...) et de détecter tout conflit d'intérêts. Au total, l'institution a transmis 16 dossiers à la justice depuis sa création en 2013. Certains ont débouché sur des procès et entraîné notamment la démission de deux ministres : Yamina Benguigui (Francophonie) et Thomas Thévenoud (Commerce extérieur).

A l'instar de l'HATVP, des mesures salutaires ont certes été adoptées dans la foulée du scandale Cahuzac dans le cadre de la loi adoptée à l'automne 2013 sur la transparence de la vie publique qui interdit aux députés et sénateurs de cumuler leur mandat avec certains métiers. Le Parquet National Financier (PNF), créé à la même date, qui a compétence nationale pour centraliser tous les délits en la matière, est une "avancée indéniable pour affronter le banditisme ou la fraude fiscale", estiment les parlementaires communistes Alain et Eric Bocquet dans leur livre "Sans domicile fisc" qui sort ce jeudi.

La question de la faiblesse des moyens alloués au PNF reste problématique, mettent cependant en garde les deux hommes qui plaident pour la création d'une "COP de la fiscalité et de la finance à l'échelle mondiale sur le modèle de la COP 21 sur le climat". Avec 22 magistrats, le PNF dispose en effet de moins de moyens que son homologue espagnol doté de 40 magistrats quand le Serious Fraud Office britannique a quant à lui à sa disposition de 480 personnes.

Mais le plus gros obstacle à l'efficacité de la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales émane d'une spécificité bien française qui va à l'encontre de la séparation des pouvoirs judiciaire et exécutif : le ministre du Budget dispose seul du pouvoir d'engager des poursuites pour fraude fiscale. En clair, seul l'ex ministre Cahuzac aurait pu porter plainte contre lui-même...

Le manque de transparence est une autre critique récurrente contre le dispositif en place. Chaque année, le fisc français place en redressement 40 000 contribuables, inflige une pénalité pour mauvaise foi à 15 000 d'entre eux mais il ne porte plainte au pénal que dans un millier de cas. Sur quels critères?, s'interroge-t-on.

En France, dans certaines affaires, les procès ont parfois lieu dix ou quinze ans après les faits et ne débouchent pas nécessairement sur des sanctions exemplaires tandis que d'autres pays voisins font preuve d'une beaucoup plus grande fermeté, notamment en Angleterre où, en 2011, un député qui a triché sur ses notes de frais avait écopé de trois mois de prison ferme.

En 30 ans, une quinzaine de lois et décrets ont certes été adoptés dans l'Hexagone dans le but de moraliser la vie publique. Mais toujours après un scandale. La lutte contre la corruption n'est quasiment jamais le fer de lance d'un programme présidentiel d'un grand parti. La campagne lancée en vue de l'élection de 2017 à la tête de la République française n'en prend pas le chemin.

Lundi, hasard du calendrier judiciaire, alors que s'ouvrait le procès Cahuzac, le parquet de Paris a par ailleurs requis le renvoi de l'ancien président français Nicolas Sarkozy devant un tribunal dans l'affaire de ses comptes de la campagne de 2012.

Entre un ex ministre de gauche chargé de la lutte contre la fraude fiscale accusé d'être un fraudeur et un ancien président de la République de droite, candidat à la primaire de son parti pour 2017, cité dans une demi-douzaine d'affaires sérieuses, le spectacle donné par la classe politique française n'est guère reluisant et provoque un mélange explosif de colère, de grande lassitude et de désintérêt croissant chez des électeurs français de plus en plus tentés par l'abstention ou le vote contestataire.

Dans un tel contexte, le Front National de Marine Le Pen se frotte les mains. L'extrême droite, qui surfe sur le climat d'insécurité et de peur liées au terrorisme et à la crise migratoire et économique, a beau jeu de crier aux "tous pourris". Dans ces conditions, il y a fort à craindre que la campagne pour la présidentielle 2017 soit des plus délétères.

(Rédacteurs :Qian HE, Guangqi CUI)
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