Dernière mise à jour à 09h24 le 17/08
Lorsque je prenais des photos à Times Square à la veille du Nouvel An 2020, en enregistrant les célébrations de personnes venant de pays du monde entier, je n'aurais pas pu imaginer que je vivrais une période aussi agitée et chaotique deux mois plus tard.
DEPART PRECIPITE EN PLEINE PANDEMIE
A la mi-mars, ma carrière de journaliste, entamée depuis trois ans, s'est soudainement arrêtée en raison de l'expulsion de facto déguisée de 60 journalistes chinois des Etats-Unis par le département d'Etat américain. Nous avons été priés de quitter le pays immédiatement.
Comme le nouveau coronavirus faisait rage et que le nombre de vols avait été fortement réduit à l'époque, l'ambassade de Chine a tenté de demander un délai de grâce pour nous, mais n'a reçu qu'un refus catégorique du gouvernement américain.
En moins d'une semaine, j'ai remis mon travail, fait mes bagages, résilié le contrat de location et fermé tous mes comptes, et j'ai réussi à prendre un billet d'avion sur Internet... Je n'aurais jamais pensé que j'aurais pu terminer tout ce travail fatigant avec une telle efficacité.
A l'époque où le COVID-19 se répandait rapidement à New York et dans l'ensemble des Etats-Unis, les équipements de protection médicale connaissaient une grave pénurie. Dans des conditions compliquées et un temps limité, le bureau régional de Xinhua en Amérique du Nord a essayé de fournir à chacun de nous des masques, des gants et du désinfectant, mais les lunettes de protection et les vêtements de protection ne se trouvaient nulle part.
Un vol de plus de 10 heures en espace clos était extrêmement risqué à l'époque, notamment parce que nous n'étions pas suffisamment protégés, ce qui nous a fait paniquer pendant tout le voyage.
Après avoir atterri à Beijing, j'ai fait le trajet entre l'aéroport et le lieu d'enregistrement désigné, puis une fois arrivée à l'hôtel de quarantaine, je suis finalement entrée dans une chambre d'hôtel, j'ai posé mes bagages et je me suis sentie totalement épuisée - près de 40 heures s'étaient écoulées depuis mon départ de New York.
EFFORTS EN TANT QUE JOURNALISTE
Maintenant que je me suis installée, j'ai enfin l'envie et le temps de revenir sur mes expériences professionnelles aux Etats-Unis au cours des trois dernières années.
Une question me hante toujours : qu'est-ce que mes collègues et moi avons fait de mal exactement qui a fait que le gouvernement américain en vînt à nous redouter et à nous haïr et ne pût se sentir soulagé qu'en nous expulsant ?
La relation entre la Chine et les Etats-Unis est l'une des relations bilatérales les plus importantes et les plus complexes au monde. Je m'étais préparée à un voyage difficile lorsque j'ai été affectée aux Etats-Unis en 2017.
Néanmoins, née dans les années 1980 après l'établissement des relations diplomatiques entre la Chine et les Etats-Unis, j'ai grandi à l'époque de la réforme et de l'ouverture de la Chine, avec la conviction que l'ouverture, l'intégration et le développement commun sont les principale thématiques du monde d'aujourd'hui, dont l'évolution a beaucoup à voir avec la coopération sino-américaine.
En tant que journaliste, observatrice et enregistreuse de l'histoire, j'ai toujours été remplie d'un sentiment d'accomplissement lorsque j'ai eu la chance de présenter ce qu'était la véritable Amérique aux lecteurs grâce à mes propres efforts, et quand j'ai eu l'occasion d'approfondir la compréhension et la communication entre les deux peuples.
J'étais chargée de l'édition et de la diffusion des photos d'actualité prises par mes collègues en poste partout aux Etats-Unis. Les thèmes allaient des points de presse du président Donald Trump à la Maison Blanche, à la Bourse de New York et aux nouveaux parcs d'attractions Disneyland, qui constituaient de véritables moments de la vie politique, économique et sociale américaine.
Parallèlement, je me suis souvent portée volontaire pour travailler sur le front, en utilisant ma propre caméra pour filmer tous les aspects de la société américaine, et j'ai été impressionnée par un certain nombre d'histoires que j'ai apprises au cours de mes entretiens.
En 2017, lorsque la Chine a repris les importations de bœuf en provenance des Etats-Unis, qui avaient été suspendues pendant 14 ans en raison de la maladie de la vache folle, je me suis rendue en avion dans les Etats américains éloignés du Nebraska et de l'Iowa, j'ai marché sur de la bouse de vache et bravé le sang des animaux, afin de photographier les élevages de bétail ainsi que les usines d'abattage et de transformation.
En coopération avec mes collègues basés en Chine, j'ai utilisé un ensemble de photos et de vidéos destinées à illustrer comment le bœuf américain de haute qualité traversait les océans et était finalement servi sur les tables des consommateurs chinois.
En 2019, je suis allée à Las Vegas pour couvrir un rassemblement de huit vétérans qui avaient combattu au sein de l'escadrille des Tigres volants qui ont aidé la Chine pendant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que des membres de leur famille et des amis chinois. J'ai pu voir comment l'amitié entre les deux pays, qui s'était épanouie dans le feu et le sang en temps de guerre, avait pris racine et s'était transmise.
Au cours des trois dernières années, ma perception des Etats-Unis est passée de l'abstrait au concret. Avec les images que j'ai traitées, j'ai développé une sympathie pour les Américains ordinaires et j'ai été impressionnée par les sentiments communs que nous partageons.
J'ai été témoin de la joie des investisseurs lorsque les marchés boursiers ont atteint de nouveaux sommets, de la colère des gens de la base face à l'injustice sociale, de la douleur des familles des victimes d'attaques terroristes ou de fusillades vicieuses, et du bonheur des réunions familiales lors des fêtes de fin d'année, etc.
Pourquoi faut-il blâmer et stigmatiser tout cela?
L'AMITIE ET LA GENTILLESSE RESTENT MON CHOIX
Le bannissement auquel sont confrontés les journalistes chinois travaillant aux Etats-Unis n'est qu'une petite partie du courant des relations sino-américaines, qui ont été entravées et sabotées par un certain groupe de personnes. Certains pessimistes ont dépeint un tableau sombre pour les futures relations bilatérales.
Cependant, en me remémorant les personnes et les événements que j'ai rencontrés au cours des trois dernières années, je peux voir la lumière au bout du tunnel, même durant cette période sombre.
Je me souviens encore de Bill Pellett, 70 ans, un éleveur de l'Iowa qui s'est engagé à produire du bœuf de haute qualité et à l'exporter sur le marché international. Lui et sa femme sont de fervents partisans de Donald Trump, mais ils ne sont pas favorables à la guerre commerciale que Washington a lancée contre la Chine.
"Je pense qu'il est bon pour nous tous de nous comprendre et de partager les ressources dont nous disposons. Chaque pays (...) a des ressources différentes, et a besoin de commercer pour rendre le monde meilleur", a déclaré M. Pellett.
Je pense souvent à Edward Beneda qui vit à Santa Barbara en Californie. Son père Glen Beneda était un soldat vétéran des Tigres volants, qui est mort bien plus tard en 2010. Il a eu la vie sauve parce que les habitants de la région se sont battus pour le sauver lorsque son avion s'est écrasé dans la province du Hubei, au centre de la Chine.
"Nous considérons le peuple chinois comme faisant partie de notre famille. Je ne parle pas seulement de ceux qui ont sauvé la vie de mon père, mais nous avons une relation très profonde et très forte avec tout le peuple chinois", a déclaré Edward Beneda, qui se rend souvent dans les écoles locales de Los Angeles afin de présenter le documentaire exposant les rencontres de son père en Chine.
Je pense aussi à mon voisin de New York, une ville où la plupart des gens sont plutôt isolés les uns des autres.
Un jour, mon voisin s'est rapproché de moi afin de discuter de questions liées à Hong Kong et au Xinjiang. Si nous n'avons pu nous entendre sur beaucoup de choses, nous avons également dissipé de nombreux malentendus. Après avoir appris que je quitterais bientôt les Etats-Unis, il a emmené toute sa famille à mon appartement pour me dire au revoir malgré la pandémie qui sévissait et m'a donné une carte faite à la main.
En raison de ces personnes et de ces événements inoubliables, je ne laisserai pas la haine m'envahir, même si l'expulsion, qui a constitué un revers professionnel important, m'a traumatisé. Je crois toujours au pouvoir de l'amitié. Et je suis convaincue que la gentillesse l'emportera.
En mars toujours, en réponse à la suppression infondée des organisations de médias chinois par la Maison Blanche, la Chine a pris des contre-mesures pour réduire le nombre de correspondants étrangers des médias américains en Chine.
A cette époque, la pandémie de COVID-19 atteignait un pic aux Etats-Unis, et certains spéculaient sur le fait que la Chine riposterait en prenant les mêmes mesures et demanderait aux journalistes américains privés de permis de travail de faire leurs valises et de quitter le pays immédiatement.
Mais le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a déclaré : "Quant à savoir quand ils quitteront le pays (...) nous prenons également en considération la situation sur le terrain, y compris l'épidémie de COVID-19. La Chine sera plus raisonnable et traitera leur sortie de manière plus humaine".
Je ne sais pas si mes homologues américains sont déjà partis. Je souhaite leur bien-être, qu'ils soient en train de faire leurs valises ou déjà revenus dans leur pays d'origine. J'espère également qu'ils pourront garder de bons souvenirs de la Chine et qu'ils auront la possibilité de revenir.