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Tchad: l'agression contre un avocat paralyse l'appareil judiciaire

Xinhua | 01.06.2018 08h46

Les avocats, notaires et huissiers de justice tchadiens ont entamé ce jeudi une grève d'une semaine dans tout le pays pour protester contre l'agression contre un avocat il y a une dizaine de jours au sud du pays. Ils sont soutenus par les magistrats, déjà en grève.

Tout est parti le 22 mai 2018 à Doba, le chef-lieu de la région pétrolifère du Logone oriental, au sud du Tchad. Ce jour-là, le tribunal de grande instance de Doba a relaxé trois prévenus poursuivis pour complicité d'association de malfaiteurs. Leur conseil, Doumra Manassé, s'est rendu à la maison d'arrêt de la ville, muni de trois ordres de mise en liberté délivrés par le juge, pour leur élargissement. En quittant la prison, l'avocat et ses trois clients ont essuyé des tirs nourris de gendarmes, arrivés dans trois véhicules et conduits par le commandant de la légion de gendarmerie de la région. Les gendarmes sont entrés dans l'enceinte du palais de Justice où ils ont passé à tabac les trois prévenus fraichement libérés, enfermé les magistrats et avocats qui se trouvaient sur les lieux et suspendu les audiences.

Les gendarmes sont repartis, emportant les trois hommes relaxés. Vingt-quatre heures plus tard, deux ont été relâchés et le troisième est toujours entre leurs mains, "dans un endroit ignoré de tous, sauf eux", a affirmé Emmanuel Djimadoum Koumtog, secrétaire général de l'Ordre des Avocats du Tchad, au cours d'une conférence de presse conjointe organisée mercredi soir.

Les trois prévenus ont été arrêtés en août 2017, soupçonnés de complicité avec les coupeurs de routes ou bandits de grands chemins.

Selon le secrétaire général de l'Ordre des Avocats du Tchad, le tribunal de Doba a convoqué le commandant de la légion et son adjoint, le sous-préfet, le gouverneur, plusieurs fois, mais personne ne s'est pas présenté à la justice parce qu'il n'y avait pas d'argument à opposer. Le tribunal, estimant que les faits n'étaient pas avérés, a fini par relaxer les trois prévenus pour infraction non constituée.

Dans ce dossier, il n'y a jamais eu de parties civile; les avocats, notaires et huissiers expriment leur surprise que le gouverneur de la région du Logone oriental soit en train de "se fabriquer des témoins pour essayer de se justifier". "On n'a jamais fait état d'une partie civile quelconque dans la procédure qui était ouverte et close. La constitution de partie civile peut intervenir à tout moment, mais avant la clôture des débats. C'est maintenant qu'une décision est rendue que le gouverneur se fabrique des parties civiles", a martelé Elysée Eldjimabye Mbaihoudou, président de la Chambre des huissiers du Tchad.

Au cours d'une réunion organisée mercredi à Doba, le gouverneur de la région, Adam Nouky Charfadine, a resté droit dans ses bottes et martelé que le présumé brigand relâché sera maintenu en prison. "Quelqu'un de très dangereux comme ce coupeur de routes, un chef de gang, un coordonnateur de toutes les actions de malfrats dans la zone, le laisser en dehors de la prison, c'est trahir la confiance du chef de l'Etat", a-t-il expliqué.

Une mission du ministère de la Justice, chargé des Droits de l'homme, a été dépêchée à Doba pour situer les responsabilités. On promet que s'il y a une petite erreur dans la procédure, les responsabilités payeront.

Réunies mercredi en assemblée générale extraordinaire, les trois professions judiciaires libérales ont décidé de cesser leurs activités sur toute l'étendue du territoire national, à compter de ce jeudi et jusqu'au 6 juin 2018.

"Dans cet intervalle, si le gouverneur de la région du Logone oriental et le commandant de la Légion de Gendarmerie de Doba ne sont pas relevés de leurs fonctions, une marche pacifique en robe sera organisée, après évaluation. Nous sommes prêts à mourir lors de cette marche pacifique pour faire entendre notre cause", a déclaré Emmanuel Djimadoum Koumtog.

Après avoir déposé une plainte auprès du parquet général de Moundou, contre le gouverneur du Logone oriental, le commandant de Légion de Gendarmerie et leurs complices, les avocats, notaires et huissiers entendent adresser une lettre ouverte au chef de l'Etat, pour dénoncer les multiples agressions dont sont victimes les acteurs judiciaires, et lui demander une audience pour des explications détaillées de leurs difficultés à exercer.

Le 29 mai, le Syndicat autonome des magistrats du Tchad (SYAMAT), réuni en assemblée nationale au Palais de justice de N'Djaména, ont également réclamé la suspension du gouverneur du Logone oriental qu'ils qualifient de "récidiviste", et sa mise à la disposition de la justice. Pour les magistrats, les tirs contre l'avocat et ses trois clients, constituent un acte de rébellion, une violation du tribunal de Doba et une résistance à l'action judiciaire.

Le ras-le-bol des magistrats, avocats, notaires et huissiers intervient alors que le Tchad est frappé par une nouvelle grève sèche et illimitée, déclenchée depuis le 28 mai par les principales organisations syndicales du pays. Les secteurs publics (écoles, hôpitaux et tribunaux notamment) sont fermés ou tournent au ralenti.

(Rédacteurs :Wei SHAN, Guangqi CUI)
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