Dernière mise à jour à 10h23 le 15/02
Au terme de six jours de campagne électorale sans heurts clôturée vendredi, les Centrafricains se rendent aux urnes dimanche pour élire leur futur président pour les cinq prochaines années entre Anicet Georges Dologuelé et Faustin Archange Touadéra lors d'un scrutin de sortie de crise pour lequel les camps des deux adversaires s'accusent mutuellement de fraudes.
Grand favori des sondages, Anicet Georges Dologuelé, ancien Premier ministre d'Ange-Félix Patassé (1999-2001) et ex-président de la Banque de développement des Etats de l'Afrique centrale (BDEAC), a confirmé les pronostics en se classant en tête du premier tour de la présidentielle tenue le 30 décembre avec 23,74% des voix, selon les résultats officiels proclamés par la Cour constitutionnelle.
Son suivant immédiat avec 19,05% des voix, l'ex-recteur de l'Université de Bangui et professeur de mathématiques pures Faustin Archange Touadéra, dernier chef du gouvernement de François Bozizé avant l'offensive suivie de la prise du pouvoir de l'ex-coalition rebelle de la Séléka le 24 mars 2013 à Bangui, a, lui, créé la durprise en s'imposant comme le challengeur inattendu du second tour.
Un total de trente candidats a pris part à cette compétition. L'un et l'autre, les deux adversaires incarnent chacun pour ses partisans l'espoir d'un renouveau en Centrafrique, pour faire tourner la page de trois ans de violences et de chaos sécuritaire et humanitaire puis de recul économique sans précédent, dus à cette crise.
"Pour la première fois dans notre pays, nous avons la possibilité de sortir réellement de la crise que nous vivons, pas depuis trois ans, mais depuis trente ans", a déclaré lors d'une réunion tenue avec les dirigeants de l'Autorité nationale des élections (ANE) et des partenaires au développement samedi à Bangui, Patrick Dejean, représentant de Dologuelé.
Depuis trois décennies en effet, la République centrafricaine (RCA) vit au rythme de coups d'Etat militaires et de rébellions armées. A ce jour, il compte un président élu démocratiquement, en la personne d'Ange-Félix Patassé, renversé un an avant la fin de son deuxième mandat de cinq ans le 15 mars 2003 par un putsch mené par François Bozizé.
De fait, les principaux défis du futur chef de l'Etat centrafricain se résument par la restauration de la paix et de la sécurité, la relance économique et la réconciliation nationale, trois chantiers autour desquels Dologuelé et Touadéra ont eux-mêmes axé leurs programmes politiques respectifs proposés à la sanction des quelque 1,9 million d'électeurs inscrits centrafricains.
Dans leur duel pour la conquête du pouvoir, les deux adversaires, en dépit de leur tempérament pondéré, ne se sont pas fait de cadeau, leurs camps respectifs ayant ouvertement fait lors de la réunion tenue samedi dans les locaux de la Commission de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC) à Bangui, des déclarations faisant état d'accusations mutuelles de fraudes.
C'est Patrick Dejean qui a dégainé le premier en affirmant, mais sans pointer explicitement la partie adverse, qu'"il y a des cartes d'électeur qui sont vendues en fraude et massivement. Les cartes d'électeurs sont vendues comment ? Sur la base des listes électorales", jugées non sécurisées et favorables aux votes multiples.
"Certaines urnes ont été remplacées par des sacs de manioc au premier tour. Il y a des urnes qui sont au moment où je vous parle chez certaines personnalités centrafricaines", a-t-il poursuivi, sans donner de précision au sujet des allégations exprimées.
Il a fait état d'une série de propositions adressées à l'ANE pour permettre de "mettre en place des mesures de transparence suite au constat qui a été fait au premier tour" et pour lesquelles une action commune a été suggérée au camp de Touadéra, accusé d'y avoir opposé un refus.
Ce responsable politique estime que le système électoral mis en place par les autorités de transition ne rassure pas assez. En face, Charles Armel Doubane, membre du collectif de vingt-deux candidats recalés du premier tour alliés à Touadéra, a plutôt choisi de rassurer quant au respect des engagements pris pour faire en sorte que "la situation reste apaisée".
"Nous respecterons la loi, a-t-il au demeurant prévenu, mais il faut qu'elle soit respectée par tout le monde. La Cour constitutionnelle, nous lui faisons entièrement confiance. Quand nous ne serons pas satisfaits, nous nous tournerons vers elle".
"Aidez-nous à faire de bonnes élections pour notre pays", a lancé le candidat indépendant malheureux du premier tour. Et d'ajouter : "Le ciel ne nous tombera pas dessus. Il y aura des élections, et de bonnes élections. En ce qui nous concerne, les résultats seront respectés, si et seulement si les standards seront requis pour valider un scrutin".
C'est une mise en garde qui trahit la persistance d'un climat lourd, en dépit de l'apparente accalmie observée dans le pays depuis la visite du pape François à Bangui fin novembre, événement salué par le représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies et chef de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA), Parfait Onanga-Anyanga.
Rencontré par Xinhua plus tard le soir à son domicile de Castor, quartier du 5e arrondissement de Bangui à peine libéré de l'étau des ex-rebelles de la Séléka et dont l'accès aujourd'hui est contrôlé par des check-points tenus par des éléments des Forces armées centrafricaines (FACA), le directeur national de campagne adjoint de Touadéra, Félix Moloua, a renvoyé au camp adverse ses accusations.
"Nous sommes allés en campagne sans moyen. C'est pour cela que les gens ne nous attendaient pas. Au premier tour, nous n'avons formé que 5.000 personnes", s'est-il défendu.
Selon le démographe encore, "pour frauder, il faut avoir de l'argent. C'est eux qui vont faire ça. En province, ils ont envoyé plein d'argent pour acheter les consciences. Nous, on n'a même pas de T-shirts. Faites la comparaison. Notre atout, c'est le bilan positif de notre candidat lors de son passage à la tête du gouvernement [entre 2008 et 2013]".
L'ANE s'est quant à elle défendue par la voix de son rapporteur général et porte-parole Julius Rufin Ngouabé-Baba d'avoir "pris le souci de gérer ce processus [électoral] de façon équitable et de manière transparente".
Pour faire prévaloir le climat d'apaisement, le chef de la MINUSCA a une fois de plus recommandé la retenu.
"Je demande simplement au peuple centrafricain d'être serein, parce que ce sera un scrutin historique pour l'avenir du pays. Des efforts énormes ont été fournis par l'ANE pour corriger les insuffisances qui ont émaillé le premier tour des résidentielles et des législatives annulées par la Cour constitutionnelle", a souligné à Xinhua le diplomate gabonais.
Il a exhorté les irréductibles à "quitter le rive de la colère, de la haine pour aller vers l'harmonie, l'accueil, la convivialité et la fraternité". D'après lui, "le gagnant, ce sera le peuple centrafricain. Personne ne perdra ces élections".
Par Raphaël MVOGO, envoyé spécial à Bangui